© Bekir Aysan

« La dernière fois que j’ai regardé ma montre, il était une heure trente-huit, une chaude nuit d’août. Je ne sais pas du tout comment je suis arrivé ici… »

Le public entre dans la patinoire et s’installe dans la configuration bifrontale autour d’un long podium qui traverse la salle, chemin dont on ne voit ni le début ni la fin, à l’image de la pièce de Marius von Mayenburg. En cela, la disposition est le premier facteur de l’oppression subie par le personnage. Un homme, M, erre dans les dédales d’une ville dans laquelle chaque être qu’il croise semble ne pouvoir résister au désir de le manger et il se voit contraint de les tuer un par un pour assurer sa survie. Entre « Le Château » et « Le Procès », « Le chien, la nuit et le couteau » nous plonge dans une atmosphère kafkaïenne absurde et surréaliste soulignée par les masques portés par les comédiens. Sorte de deuxième peau, qui donne aux acteurs une subtile étrangeté.

Le spectateur assiste à un cauchemar, à une fuite perpétuelle où le rire intervient comme dans un film de Tarantino, au moment où l’horreur se dépasse elle-même. Louis Arene a la justesse de faire surgir, sous les immenses giclées de sang,  l’espoir et l’humanisme profond du texte de Mayenburg. Les hommes ne se dévorent qu’à cause d’un instinct contre lequel ils ne peuvent lutter, il ne semble y avoir aucun haine dans leur violence, simplement quelque chose de l’ordre de la fatalité. Lui, M, avec son immense couteau, est le portrait craché de celui de Norman Bates, et il tient aussi de ce dernier une naïveté effrayante. Le personnage devient à chaque minute plus assassin, plus compulsif, plus multirécidiviste sans ne jamais avoir fait preuve d’une quelconque propension au meurtre. L’amour peut-être permettra d’échapper à l’instinct, au chien que l’on est, à la nuit et au couteau.