Comment prendre son destin en main alors que tout semble écrit à l’avance ? « La vie trépidante de Laura Wilson » raconte l’épopée d’une femme pour qui l’annonce de la perte de son travail signifie le vacillement de l’équilibre précaire sur lequel reposait sa vie. A partir de là, tout déraille. Laura se retrouve au cœur d’un tourbillon, ballottée de tous les côtés par les hommes et par la vie. Sa famille explose, elle perd la garde de son enfant à cause d’une cuite, elle fait front face à la cohorte des clients d’un fast-food, résiste aux sirènes de militants d’extrême droite tandis qu’un un bellâtre archéologue lui chiffonne le cœur. Sa seule amie est l’image d’une femme sur une affiche publicitaire de soda qui l’encourage à tenir bon, à être, au contraire d’elle, mannequin figé pour l’éternité, une femme vivante, libre et en mouvement. Car c’est bien d’une quête de liberté dont il s’agit. Sur scène, trois hommes entourent cette figure de femme en crise et la manipule dans tous les sens dans un jeu de lutte de pouvoir et de domination. Le trio va même jusqu’à arrêter l’action du drame pour décider ensemble du destin de Laura, tels des scénaristes en plein brainstorming dans un think tank d’écriture pour showrunner de série en mal d’inspiration. C’est en acceptant de ne plus subir le désir des autres et de se mettre dans l’action qu’une issue favorable va se profiler.

Dans cette tranche de vie initiatique, Brecht n’est pas loin, bien sûr. Mais au-delà de la mise à distance créé par l’alternance drame-récit, la dialectique se construit surtout dans la capacité de la pièce à dépasser ses propres limites narratives, à créer de la profondeur de champ, à nous permettre tour à tour d’entrer dans la tête de Laura ou de survoler sa vie comme si nous étions à bord d’un dirigeable. A ce titre la mise en scène de Jean Boilot répond parfaitement à la diversité des modes de jeu proposés par le texte de Jean-Marie Piemme. Le dispositif est à la fois simple et multiple, comme un terrain de jeu où tout peut s’inventer sous nos yeux, du récit au cabaret musical en passant par le drame le plus réaliste. L’usage de la vidéo est remarquable. Elle est prise « live » à partir d’un smartphone qui tour à tour permet de repousser les limites du cadre de scène, en proposant toujours un autre axe que celui qui va de la salle au plateau, comme ces gros plans sur un visage dissimulé hors-scène, ou lorsqu’il nous invite à suivre le point de vue du petit garçon à travers son champ de vision. La chanson est également très présente, comme une invitation à laisser notre imaginaire prendre plus de place dans nos vies et le laisser trouver des solutions là où notre raisonnement s’épuise. Du très beau théâtre épique, qui redonne énergie et foi en notre capacité à pouvoir agir sur le monde.