© Frédéric Benoist

90 degrés : c’est à la fois une sacrée dose d’alcool et un virage à angle droit – celui d’une femme qui perd pied et chute dans l’alcoolisme. Construite autour du monologue de Marthe (l’excellente Elizabeth Mazev), la pièce a le grand courage d’aborder un sujet actuel et essentiel. Mais dans quel but et avec quelle originalité ?

Le monologue, qui se raccroche le plus souvent au mari fantasmé et irréprochable et peint l’incapacité de Marthe à assumer son rôle de mère et d’épouse, pourra hérisser le poil de certaines féministes. Les plus psychothérapeutes d’entre nous resteront peut-être dubitatifs face au récit d’une maladie aux causes mystérieuses (une mère maltraitante ?), qui flirte avec la schizophrénie. On attend une catharsis qui ne vient pas : aurait-il fallu aller plus loin dans la dérision, dans l’obscénité et l’horreur ?

Pourtant, s’il s’agit de faire entendre la parole de « cette catégorie qui a du mal à vivre », s’il s’agit de nous faire entrevoir, à nous l’entourage, le chaos intérieur de ce proche qui a plongé dans l’alcool, le pari semble réussi. La pièce est pétrie de vérités sur le vécu, les vides et les vices du buveur, aussi noirs que le regard de Marthe sur le monde – cette « société faiseuse d’êtres troués » selon l’auteur, Frédérique Keddari-Devisme, qui a le sens de la formule et une langue poétique à nous voler des sourires. La mise en scène, parfois ingénieuse, souvent sobre, souligne la peur et la solitude qui tenaillent cette « intermittente de la vie » qu’est devenue Marthe. Comme elle l’avoue elle-même, son parcours reflète le vertige d’une époque : « il y avait tellement de vies possibles que je n’ai pas trouvé la mienne. »