Dystopie au TNG

Artefact

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Alors qu’une voix artificielle récite les vers intemporels de « Hamlet », un bras de robot mécanique déplace précautionneusement sur une table des petits personnages. L’image est cocasse. Façon théâtre d’objet moderne, Joris Mathieu imagine un monde où les humains auraient intégralement disparu. C’est ainsi, avec son humour bien à lui, qu’il met en œuvre la prophétie de l’avènement d’un règne de robots.

Né de conversations avec des speechbots, type Siri, « Artefact » propose une déambulation dans trois dispositifs, où hologrammes et imprimantes 3D côtoient ce qu’on pourrait appeler un « robot’s show ». Les intelligences artificielles y ont les pleins pouvoirs : elles confient leurs envies et leurs réflexions encore maladroites et balbutiantes, ou jouent du théâtre. L’humain manque cruellement au milieu de cet univers immersif, mais tant impersonnel qu’il en devient désœuvrant. Le choix de vider la scène de ses comédiens fait notamment un drôle d’effet dans un contexte économique où le one-man-show est roi. Cette critique spontanée ne tient pourtant pas debout lorsque l’on pense au nombre de techniciens et concepteurs de l’ombre qui s’affairent en amont, en aval et en coulisse de la création… L’objet est ainsi, paradoxal. Bien qu’étonnamment humaines, les intelligences artificielles ne sont a priori pas conçues pour créer, et leurs imperfections de langage constituent des ressorts comiques incontestables. Mais ici, la discontinuité de leurs pensées rassure autant qu’elle inquiète : le déficit d’intelligence est-il synonyme de perfectionnement futur, ou l’inverse ? Placer ces robots sur scène, est-ce leur ouvrir l’avenir lorsque l’on se questionne tous les jours sur le nôtre ?

« N’avez-vous pas peur de rendre la prophétie autoréalisatrice ? » demande ainsi un spectateur à Joris Mathieu, lors du débat qui suit la représentation. « L’artiste ne peut s’enfermer dans son théâtre et refuser de prendre en compte le monde extérieur. L’interrogation porte plutôt sur la place du théâtre dans notre société : veut-on être simple acteur ou spectateur du monde qui se construit ? » répond l’artiste. Entre artisanat et technologie, on ne croit en effet qu’à moitié à un futur proche, car la scénographie est trop désuète pour qu’il s’agisse de demain et non d’hier. Le trouble seulement visuel contribue tout de même à caricaturer la dystopie sous nos yeux. « Un artefact de théâtre », comme le dit si bien Joris Mathieu lui-même.