Une salle vide au fond de laquelle ne trône qu’une seule chose : trois petites marches qui ne mènent à rien. Le vide. Le vide éclairé par une rangée de néons colorés qui s’éteignent et s’allument au rythme déprimant du souvenir d’un soleil mort. Mais alors, c’est ça, la beauté d’aujourd’hui ? Eh bien oui. C’est ça et c’est sublime, car dans ce décor, c’est une humanité post-proustienne que ces seize comédiens d’une vingtaine d’années peuvent alors incarner quand l’un d’eux s’adresse au public pour lui dire : « Deux secondes de douleur. Voilà ce que signifiera pour moi de vous avoir aimé. » Cette phrase qui résonne au milieu du vide nous donne le sentiment que chacun de ces enfants a tout compris des tristesses amoureuses qui sont au cœur du récit de l’auteur de « La Recherche ». Comme si, fort du siècle passé depuis sa mort, chacun d’eux avait finalement appris de cette expérience, à laquelle Proust ne croyait pourtant pas, lui pour qui aimer n’était « qu’un mauvais sort comme ceux qu’il y a dans les contes ». C’est donc un monde désenchanté qu’Yves-Noël Genod nous montre, mais c’est aussi un monde joyeux, puisqu’il est entre les mains de gamins qui s’en protègent en refusant de vivre la douleur du réel. C’est d’ailleurs ce qu’exprime Aidan Büchi, ce comédien dont on aimerait qu’il devienne la Berma de demain, quand il nous dit « None of this is about reality. It’s about the value of awareness ». Et ce refus surconscient d’aujourd’hui par des gens de maintenant, c’est ce qui fait toute la différence avec le déni égoïste qu’était celui de leurs parents. Une différence qui prend forme devant nous, qui pouvons voir grâce à ce spectacle se faire la belle histoire d’enfants dont l’éclat des rires tente en vain d’écraser le vacarme produit par la tristesse des images de morts qui bercent leur quotidien depuis qu’ils sont nés. En vain, parce que toujours résonne dans nos têtes la voix du présentateur télé qui les annonce.
Histoire d’une jeunesse surconsciente
La Beauté contemporaine