Répétitions (c) Diego Bresani

Théâtre, le titre du spectacle de Marcus Borja, apparaît comme un paradoxe. Étymologiquement, le terme désigne en grec « le lieu d’où l’on voit ». Pourtant, le jeune metteur en scène brésilien en fait plutôt le lieu où l’on écoute : il plonge la scène dans le noir total et invite à une rêverie sonore. Pas de fable ici, seulement une suite de stimuli auditifs, jouant sur les contrastes, allant à sauts et à gambades, induisant une cosa mentale : au départ, des souffles, des murmures, puis des cris, des rires, des dialogues absurdes ou des textes canoniques, proposés par les comédiens et le metteur en scène. La mélopée d’une jeune chanteuse lyrique contraste avec la voix rocailleuse d’une actrice plus âgée qui donne des vers de Lucrèce Borgia ; un lied à deux voix de Mendelssohn, un extrait drôlatique de Pessoa, des phrases qui rythment le quotidien (« Please mind the gap between the train and the station ») ; que les objets sonores soient musicaux, textuels, bruitistes, tout devient matière sonore et produit une « géopoétique de la voix », comme la qualifie Marcus.

Les voix se chevauchent, s’isolent, forment des chœurs et un cœur battant la mesure, une trame vivante tissée intuitivement avec 50 performers et 34 langues. Le spectacle mêle l’allemand, l’anglais, l’arabe, l’arménien, le basque, le grec, le créole, l’espagnol, le suédois, le tamoul, le zulu, le xhosa, le yoruba, l’hindi, l’ingali (liste non exhaustive), et crée un « partage du sensible » international louable. Il propose un voyage immobile aux spectateurs, installés en arène sur la scène du théâtre, loin de toute pollution lumineuse, profitant de conditions favorables pour une attention renouvelée : les sens s’ouvrent, et la présence des corps des performeurs qui naviguent entre les chaises est palpable, troublante. Théâtre se rapproche alors d’une cérémonie magique, et la scène accède à une forme de sacralité laïque qui relie spectateurs et acteurs-chanteurs, alors que le temps et l’espace se dilatent.