La vie, ininterrottamente

Grand Mal

C’est l’histoire de la solitude. De la solitude, mais aussi de ce moment de l’Histoire de nos vies où celle-ci se trouve conservée comme condition, mais dépassée comme destination. C’est donc aussi un voyage au travers de cette zone grise où nous nous trouvons alors. Une zone grise constituée de l’éternelle et triste solitude ontologique des hommes, à laquelle vient se confronter l’obligation d’une hypercommunication dont les réseaux sociaux seraient le parangon. Rien de nouveau, direz-vous, mais écoutez. Écoutez plutôt la voix mate et observez la gestuelle éthérée d’Anne Lise Le Gac. Accompagnée d’Élie Ortis, ils nous rappellent, comme ne cesse de le répéter Gigi d’Agostino dans la chanson qui clôt le spectacle, que « la connaissance des hommes n’est pas une science exacte » et, en nous démontrant l’égarement de ceux qui s’étalent en non-sens sur YouTube, ils nous rappellent aussi qu’il n’est pas impossible de croire. Croire que demain sera mieux, et qu’aujourd’hui n’est pas pire qu’hier. Parce que, finalement, ces plateformes sur lesquelles nous nous déversons ne sont que la réminiscence du shingle d’hier dont nous parle William Lhamon, sur lequel dansaient les esclaves pour mieux défendre leur existence. Partant de là, il faut se rappeler que même ces esclaves, un jour, ont su danser à côté du shingle jusqu’à parvenir à gagner leur liberté… Et ne pas oublier que « Grand Mal, ce n’est qu’un marché dont les esclaves sont les protagonistes ». Si nous n’oublions pas cela, et que nous acceptons que nous sommes aussi nos propres bourreaux, alors, peut-être, nous pourrons avancer. C’est en tout cas ce que viennent nous rappeler ces artistes à la grâce inoubliable. Reste qu’on aimerait les entendre plus. Plus souvent et plus longtemps. « Le plateau ne nous appartient plus », nous dit Anne Lise Le Gac aux derniers instants de son spectacle… « Mais si, il est à toi ! », serait-on tenté de lui répondre. « Il est à toi, et prends-en soin, parce que quand tu es dessus, la vie est plus belle. »