L’air de rien

Doreen

À l’origine, il y a un fait divers. André Gorz et sa femme, Dorine Keir, se sont donné la mort en septembre 2007, à plus de quatre-vingts ans, dans leur petite maison de Vosnon, où ils habitaient et plantaient des arbres depuis une vingtaine d’années. Un an auparavant, le philosophe avait écrit une déclaration d’amour à sa femme, publiée sous le titre « Lettre à D. ». Et c’est à partir et « autour » de ce texte que David Geselson a conçu sa pièce. Il nous fait entrer une heure dans la vie du couple, une heure qui va durer cinquante-huit ans. On est accueilli chez eux, dans un équivalent du banal intérieur qu’ils habitaient dans la quiète campagne auboise. Ils nous invitent à boire un verre en entrant, à nous resservir n’importe quand. Ils discutent entre eux ou nous parlent, se font des scènes comme un vieux couple qui se confierait un peu plus que prévu pendant un dîner qui se déroule bien. On s’attache vite. On le comprend dans le salon, quand on apprend à lire les scanners de Dorine, qu’on réalise que son mal est incurable et qu’ils se suicideront pour ne pas être séparés quand l’heure sera écoulée. « Doreen », c’est un peu le retour du plaisir de la conversation au théâtre. Le plaisir d’un théâtre qui n’est pas dans le déni du texte. Aucune « guerre des sens » qui sature le plateau d’effets. Pas besoin d’affolements techniques, pas besoin de congédier l’éloquence pour captiver un public. La démonstration de David Geselson et de Laure Mathis est sobre. L’inclusion de séquences vidéo est discrètement camouflée dans la bibliothèque, les décibels sont mesurés. Le comédien va jusqu’à interpeller le public pour s’assurer que le niveau sonore de sa musique lui convient. Un décor inoffensif et intimiste, normal, qui met en valeur les comédiens et cet amour de fait divers : les deux, sublimes l’air de rien.