Olivier Cadiot : la non-histoire de la non-littérature

Histoire de la littérature récente (tome 2)

Après « Histoire de la littérature récente, tome I » (P.O.L., 2016), Olivier Cadiot poursuit son entreprise de labourage de la littérature dans ce kaléidoscopique essai qui n’en est pas vraiment un.

En quatrième de couverture, cette courte épigraphe : « Cinq techniques pour réaliser un livre. » Tout l’enjeu, bien entendu, tient à l’usage de l’italique (on renverra au chapitre intitulé « Aérodynamique », qui décrit la technique utilisée par Jim Thompson) et la polysémie du réel dont il est question. « Pendant mille ans on s’est tapé l’irréel, maintenant c’est parti pour le réel. » A-t-on à faire à un manuel de survie littéraire ? Plutôt à une enquête, avec somme d’indices récoltés, agrégat de notes et d’idées, de témoignages et de déductions, à destination aussi bien de l’auteur virtuel que du lecteur. 104 courts chapitres aussi décousus qu’hétérogènes : à la fois d’une grande lucidité  sur son propre travail – ses pseudo instructions à la 2e personne du pluriel s’appliquant tout autant à lui-même -, Cadiot est en même temps un roublard au second degré, un ironique pathologique, bien qu’il s’en défende (voir le chapitre « Simplifions ») : bref, un post-moderne. Son « Histoire » est truffée de références faites en passant, sans en avoir l’air, comme Flaubert dans ce « Quelqu’un a dit : je crois à la haine inconsciente du style ». Son ambition n’est ni méta-littéraire, ni post-littéraire, ni quoi que ce soit d’autre d’au-delà de la littérature. Mais comme il le précise lui-même avec justesse, on ne définit pas la littérature avec du ni-ni. Cadiot est ce moissonneur à la fois triste et joyeux de la langue.

Car « le réel que l’on cherchait, il n’est pas dehors ; il se trouve au centre d’un nuage de tensions ici et maintenant », observe Cadiot, au cœur de sa plongée en apnée dans la matière vivante, aqueuse et sans cesse mouvante de la littérature. Ce retour sur soi, indispensable, salvateur, est toute la force et toute la limite de son « Histoire ». La force, car « Le seul avantage de la littérature, c’est que, s’autorisant à ne pas résoudre une question, mais seulement à s’en occuper, elle nous donne en échange une plus grande épaisseur de présent. » Le regard de Cadiot, acéré, oblique, plein d’humour, densifie celui du lecteur ; son invitation à méditer sur la littérature tient plus du koan zen que de la casuistique gérardgenettienne. Mais d’un autre côté, « Pourquoi toute cette tension, cette volonté de comprendre, ces livres, encore ces livres » : il y a peut-être dans cette interrogation tout l’aveu de faiblesse de quiconque est pris par la littérature, qu’il soit auteur ou lecteur ; comme l’impossibilité de ne pas chercher à percer le mystère, malgré toutes les réserves conscientes que l’on peut mettre à cette entreprise. De cet échec naît une poésie qui, comme toujours dans l’oeuvre de Cadiot, n’est pas dénuée de charme.

Olivier Cadiot, Histoire de littérature récente, tome II, P.OL., octobre 2017, 256 p., 12 €