Respondance

Du rêve que fut ma vie

(c) Vincent Muteau

Il s’en est fallu de peu que la première de ces Nomade(s), scène itinérante inventée par La Garance, scène nationale de Cavaillon, ne débute à l’hôpital de Montfavet le jour même où Camille Claudel y fut internée. La désormais géniale Camille, sculptrice immortalisée pour longtemps sous les traits d’Isabelle Adjani – mémorable – par le réalisateur Bruno Nuytten, est au cœur de « Du rêve que fut ma vie ».

Quoi de plus émouvant que de recourir aux artifices de la marionnette pour traduire d’un fil cette vie ; et il n’y a pas que le jeu de mot, mais aussi une véracité que les artistes issu(e)s de l’art de la marionnette cultivent le fait de tout transformer en un rien de temps, par un simple tiré-lâché sur une robe qui devient aussi sec une camisole de force, une traîne ou une redingote.

Après avoir évoqué dans un précédent spectacle « Les Mains de Camille », toujours autour de cette Camille Claudel fascinante, embourbée dans un XIXe siècle misogyne et puritain, Camille Trouvé et son comparse Brice Berthoud ont inventé « Du rêve que fut ma vie », un spectacle qui s’appuie sur la correspondance de Camille Claudel avec le monde, qui lui rendait si peu son intérêt qu’on n’a pas cru bon de conserver toute sa correspondance ; fâcheux manque.

Comme dans le « Journal » de Nijinski, on est troublé par la lucidité de Camille sur elle-même, sur le monde, sur les arts et les hommes. Donnée pour folle, elle dit des choses si sensées, voire prémonitoires qu’on se demande bien qui est le fou. Des premières lettres exhumées de 1889, date du fameux Salon d’Automne où elle exposera ses « Causeuses » à celles, rares et poignantes, datées des années 1940 et proches de sa mort, c’est une femme qui nous apparaît, une artiste prise par son besoin de reconnaissance dans un monde dont elle se sent exclue.

Accompagné d’une contrebasse à tout faire, maniée avec dextérité par Fanny Lasfargues, le spectacle nous fait traverser, avec une grande économie de moyens, l’univers contrarié de cette sculptrice, laissant en nous un sentiment de tristesse à la pensée que le monde de l’époque n’en ait pas davantage pris soin.