Un rêve de pierre

© Beniamin Boar

Dans l’Antiquité tardive, le quadrivium désignait les quatre arts mathématiques : géométrie, arithmétique, musique et astronomie. Dans cette partition des arts, la danse, émanation de la musique, relevait d’un savoir des nombres : art de la composition donc, plutôt que de l’expression. Or, Radouan Mriziga, formé dans l’école d’Anne Teresa De Keersmaeker, reprend littéralement la grammaire de la chorégraphe flamande, se plaçant ainsi délibérément du côté du savoir-faire, de la répétition du geste, du travail de l’artisan qui s’amarre à un ordre qui lui préexiste. Conformation plutôt que création. La danse, affaire de science, ne relève donc pas de l’idiosyncrasie d’un sujet, mais de la compréhension d’un objet. S’amarrer donc, se couler dans la forme du monde plutôt que trouver une forme d’expression de soi : la danse, une affaire d’architecture plutôt que de littérature. Des lignes, des courbes et des volumes qui dessinent l’espace du monde. Contradiction fondatrice d’un certain geste chorégraphique : que le mouvement épouse la structure immobile, immuable et mathématique du monde. Oui, mais voilà, la forme du monde n’est pas le monde. Simple figure géométrique dont le vide est aussi le dessin d’une absence. L’espace devient alors une invisible construction peuplée de statues, comme le rêve d’une beauté pétrifiée qui se dérobe à nous.