En se passant de paroles, La Mue/tte libère les langages

Les Folles et L'un dans l'autre

"L'un dans l'autre"

“L’un dans l’autre” / ©David Siebert

En ce mois d’octobre, le Mouffetard – Théâtre de la marionnette à Paris a programmé successivement tous les spectacles de la compagnie La Mue/tte. Une invitation en forme de parcours, pour traverser l’univers de ce duo d’artistes difficilement situable, entre mime, musique, théâtre de marionnettes et d’objets. La Mue/tte se saisit de thèmes forts, pour leur appliquer un traitement singulier, qui donne à voir autrement ce dont on pensait déjà avoir fait le tour.

Les rôles dans le couple, les jeux de l’inconscient et la solubilité des genres (pour « L’un dans l’autre »). L’arrachement, la lutte contre l’oppression, la conquête de la dignité et, au-delà, de la liberté (pour « Les Folles »). Assurément les thèmes abordés par les deux formes longues de la compagnie La Mue/tte sont à la fois très actuels, et indubitablement essentiels. Certes, ils ont déjà été traités par d’autres, et brillamment parfois, mais rarement dans les formes invoquées par Delphine Bardot et Santiago Moreno.

A la racine de la recherche de ces deux artistes complices, et de la création de La Mue/tte en 2014, se trouve la volonté de raconter sans paroles des histoires complexes. Un parti pris fort. Mais qui n’exclut pas tout langage : pour eux, la suppression de la parole est féconde, et permet d’aboutir à une recherche sur le mouvement, mouvement des corps et des images évidemment, mouvement de la marionnette ou du corps marionnettique encore, mouvement de la musique également qui se conçoit comme une pulsation, et qui, quand elle est jouée à vue, possède sa propre grammaire mécanique. A partir de ce vocabulaire, La Mue/tte compose des phrases dont la syntaxe serait l’allégorie.

L’émotion emprunte donc des biais variés, mais la palette restituée n’en est pas diminuée. Ce serait même plutôt le contraire qui se passerait : par l’absence de la parole s’ouvrent l’œil et l’oreille du spectateur, qui deviennent réceptifs à de nouveaux stimuli, comme on dit que la privation d’un sens aiguise les autres. Et le duo de mêler avec audace les techniques, qui varient d’un spectacle à l’autre, mais visitent toujours des corporalités autres (masques et mannequins-troncs dans « L’un dans l’autre » ; surmarionnette et trucages visuels dans « Les Folles »). Il y a des constantes : l’utilisation de voiles pour rendre l’espace scénique complexe, l’utilisation d’instruments de musique comme partie intégrante de la dramaturgie, l’esthétique soignée dans une certaine sobriété, l’importance de la transformation comme de la monstration. Et le goût de l’expérimentation, toujours.

"Les Folles"

“Les Folles” / © Lucile Nabonnand

« L’un dans l’autre » et « Les Folles » valent la peine d’être vus. En tant qu’œuvres dramatiques à part entière, d’abord, car il s’agit de spectacles intelligents, portant avec sensibilité des thèmes incontournables et puissants. En tant que terrain d’expérimentation, également, même pour ceux.lles qui ne sont pas familiers des techniques employées – surtout pour ceux-là en fait.