L’image finale d’« Oblivion » relève-t-elle de l’esthétique pure ou de l’horreur écologique ? Deux heures durant, Sarah Vanhee a enfoui la scène sous les déchets. Ses déchets. Les déchets d’une année, qu’elle extrait sans répit d’une cinquantaine de cartons.
Pots de yaourt, protections périodiques, bouteilles en plastique, cotons à démaquiller, vêtements usés, boîtes de lait, emballages, bouteilles de bière, relevés de comptes bancaires, sachets de supermarché, DVD, téléphone portable : un à un ils se dressent ou s’étalent, scintillent jusqu’à former le paysage splendide d’une ville sous le soleil déclinant. Ils ne sont pas exposés, mais disposés avec soin. Tels les témoins muets de toute une vie. Une documentation sans apprêt.
« Oblivion » n’est pas pour autant un manifeste écologiste, mais plutôt un hommage aux choses. Aussitôt que notre anthropocentrisme et notre consumérisme les ont utilisées, consumées, éventrées, elles tombent invariablement dans l’oubli. Sarah Vanhee au contraire leur donne une seconde vie. Son déballage un instant en suspens, elle s’immobilise auprès d’une bouteille d’eau vide. Et énumère toutes les étapes du processus de production, sans oublier le long voyage autour du monde du liquide sous son capuchon. « Oblivion » nous rappelle la complexité globale des choses, face aux oubliettes autour desquelles gravite notre économie de la consommation.
« Si j’avais été conséquente, la performance aurait dû aussi durer un an », lance Sarah Vanhee, qui poursuit sa réflexion à propos d’elle-même et de la représentation. Cette apparence d’autofocalisation mais aussi sa dramaturgie de l’accumulation poussent quelques spectateurs à s’éclipser. C’est ainsi : toute performance radicale crée ses propres déchets, ses propres renégats. Or, ici, ils ont tort. Tous les éléments qui restent, qui traversent le texte de Vanhee et la bande-son – des propos de Žižek sur le pétrole au journal de bord de l’artiste sur ses propres selles – constituent le noyau même de ce qui rend ce solo si pertinemment ambigu. « Oblivion » problématise la frontière idéologique entre l’utile et l’inutile, entre la création et les excréments, entre l’efficacité et l’écologie. Qui accepte de s’abandonner à cette abondance en ressort plus riche. Vanhee nous fait regarder les choses autrement.