Ce soir, vous n’en aurez pas pour votre argent

Naissance de la tragédie

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Voilà une proposition exemplaire de la difficulté du passage au plateau d’idées pourtant exaltantes sur le papier. Maxime Kurvers est avant tout un chercheur ; il fouille avec minutie et dénude avec délicatesse les artifices de la scène pour tenter d’en extraire la moelle primordiale. Nourri par une famille d’artistes et de penseurs dont il se revendique – K.M. Grüber, Peter Handke, Guy Debord –, il œuvre pour un théâtre anti-spectaculaire, réduit à la simple relation de l’acteur avec un public ; « Ce soir, on ne donne pas au théâtre ce qui lui revient. Ce soir, vous n’en aurez pas pour votre argent. Vous ne pourrez pas satisfaire votre soif de voir. » Comme l’affectionne Marie-José Malis, directrice de la Commune – Centre dramatique national où Maxime Kurvers est associé, la salle reste longtemps en lumière, cassant là encore un des codes traditionnels de la représentation. Pariant uniquement sur la capacité d’empathie et la transmission de l’émotion, l’acteur entre en scène, portant sur lui les costumes accumulés de toute une vie, et raconte une histoire de notre patrimoine commun. Un conteur qui compte sur sa voix et les expressions de son visage pour faire revivre l’instant historique que l’on considère comme la naissance de la tragédie. Nous voilà donc au temps d’Eschyle avec les 17 000 spectateurs venus passer la journée au théâtre pour commenter bruyamment la tétralogie du poète. Une fois les offrandes sur l’autel, Julien Geffroy se lance, humble et investi, dans cette conférence non dénuée d’humour avec comme souci permanent de générer des sensations dans les imaginaires en présence tout en se laissant soudain submerger par le tragique destin des Perses décimés par l’armée athénienne. Les morts par milliers déclencheront chez notre messager du soir des sanglots plein la voix tombant alors dans l’emphase d’une pleureuse professionnelle. Si l’intention est claire et les moyens pour y parvenir cohérents, le concept ne franchit pas la barrière de l’intellect et c’est avec une certaine distance que l’on assiste à ce récit, ni tout à fait exclus ni tout à fait happés.