Collecte d’empreintes

Titre provisoire

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« Titre provisoire » : ainsi nommé, le spectacle annonce d’emblée le mouvement qu’il explore, celui de l’horizon transitoire des êtres en exil, état flottant entre des territoires et des sentiments – et parmi d’autres, remémoration bienheureuse de l’origine et douleur de l’avoir perdue. La voix enregistrée sur cassette d’un oncle libanais ayant fui la guerre civile de 1976 et émigré en Suède constitue le point de départ du spectacle et de la rencontre entre l’actrice et auteure libanaise Chrystèle Khodr – dont la voix est celle de son oncle – et le metteur en scène syrien Waël Ali. C’est pourtant cette idée de « début » – et la linéarité qui l’accompagne – que le spectacle nous invite à abandonner, tant les récits d’exil, tissés autour de traces et d’éléments manquants, semblent des invitations à prendre les choses en route. L’exil, à travers la voix de cet oncle, semble être cet apprentissage de la perte. Mais pas seulement : le plus dur, lorsqu’on migre, « ce sont les affaires qui s’éparpillent », affirme Khodr, avec un humour d’autant plus élégant qu’il précède à des récits tragiques, et inlassablement répétés par l’Histoire. L’arrachement n’est jamais aussi perceptible que lorsqu’il est exprimé à travers des détails concrets : des aliments familiers qui manquent, des flash infos, un couteau à fromage qui évoque l’âme d’un grand-père. Sur scène, des bandes de papier suspendues accueillent les images projetées des protagonistes ; le mouvement de ces rubans émaille celles-ci de failles, rappelant celles de la mémoire : peut-être les histoires ne sont-elles racontées que lorsqu’elles sont manquantes, et que l’on cherche, précisément par leur récit, à en combler les lacunes ? La langue arabe, opaque, sonne alors comme un élément constitutif de cette énigme qu’est le passé de nos aïeux, des chemins qui furent les leurs – sentiment de mystère auquel participe l’admirable travail sonore, évoquant des pas qui avancent, un suspense imminent, apportant une tension dramatique au spectacle. Il y a quelque chose du dogme dans la mise en scène, plateau nu, mise en abyme du propos – les protagonistes commentent leur propre démarche – notamment dans un prologue à travers lequel le metteur en scène souligne la difficulté voire l’impossibilité de commencer une histoire. Mieux vaut commencer par un simple bonsoir, philosophe-t-il. À travers cette délicate adresse – en français – au spectateur, on éprouve une immédiate sympathie, provoquée tant par la sincérité avec laquelle sont exposés ses doutes que, par la suite, par la manifeste complicité qui lie les quatre protagonistes d’origine syrienne et libanaise du spectacle.