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Seul, insolvable et détruit, le clown Cohen est triste, mais de l’incapacité qui est la sienne et qu’il partage avec ces personnages de contes de fées qui jamais ne parviennent à mourir, il a décidé de faire oeuvre en occupant l’espace sur des platform shoes grotesques, se roulant dans le sang d’une vache morte un jour, se promenant à poil au milieu des Townships de Cape Town le lendemain. Tout ça pour ne pas pleurer. Tout ça pour ne pas se flinguer.

C’est sa parole que vous pouvez entendre sur le plateau du Rond-Point en ce moment, avec « Sphincterography ». Une parole vraie qui déshabille l’arlequin de tous ses artifices pour vous dire une vérité et vous en faire approcher une autre plus grande, peut-être. C’est peu de choses mais c’est immense tant c’est touchant, quand dans un bordel pas possible et un état d’impréparation totale, son corps déglingué s’approche et sa bouche vous chuchote la noble tristesse de l’artiste qu’il est, qui a vu son frère se pendre, avant de retrouver l’homme de sa vie vidé de son sang dans une baignoire. C’est violent comme le jour, oui, mais doux comme la nuit, surtout. Une nuit sombre de laquelle se détacheraient les pourtours lumineux de la silhouette de l’artiste qu’il est, fier de sa condition et conscient de sa chance. Une conscience qui l’éclaire dans le noir, et lui permet de se défaire des habits du drag-queen homosexuel sud-africain qu’il était, pour endosser devant vous le linceul d’un immortel errant. C’est magique, tant à cet instant la scène apparaît alors comme transformée : au moment qui voit les lumières de la salle se rallumer, elle n’est plus le plateau de bois qui accueille les troubadours, mais cet espace infini sur lequel le performeur devenu dibbouk errera pour l’éternité en être de la survivance. Le regard lourd d’un savoir immémorial des choses passées et les lèvres encore tremblantes des mots qui annoncent sa conscience du tragique de l’avenir.