Il était une fois

Thyeste

Il aura fallu patienter quelques heures, quelques jours tout au plus, après la première représentation de ce « Thyeste » tant attendu, pour qu’une fumée blanche émane enfin des encres noires de nos journaux et annonce à l’institution théâtrale le nom de celui qui est désormais son nouveau pape : Thomas Jolly. Une question alors : sous la tiare, en quel théâtre le nouvel élu croit-il ?

S’il est impossible de répondre à sa place, l’œuvre laissée en héritage à l’histoire des murs du palais des Papes le soir de ce 7 juillet 2018 permet tout de même d’avoir une idée de ce que pourrait être sa réponse. C’est en la nécessité d’un théâtre de jeu où le comédien se fait médium de l’histoire des hommes que Thomas Jolly croit, et à travers cela, en la capacité des mots et du plateau de raisonner le spectateur par la monstration d’un réel brutal mais fantasmé dans lequel nous serions en train de sombrer. Et c’est peu dire qu’elle est noble et féconde, cette croyance de l’artiste en son champ, persuadé qu’il paraît être de la possibilité de renverser la Terre en jetant ses mots au ciel. Noble mais cruelle croyance, tant l’œuvre que le metteur en scène propose ici à ses spectateurs semble ne rien faire d’autre que de démontrer à son propre père qu’il a tort. Au terme des 2 h 30 que durent les cris et tremblements de la représentation, le festivalier n’a vu rien d’autre qu’une pièce où la forme n’est utilisée à aucune autre fin que celle de faire du théâtre cette huile chic au service des rouages d’une histoire. Et c’est bien dommage.

C’est dommage parce que Thomas Jolly démontre ici comme souvent, mais avec plus d’humilité peut-être, ce qui est une bonne chose, qu’il aime les textes et comprend les hommes. Reste qu’à Avignon, dans cette cour ou Jean Vilar programmait « La Chinoise » de Godard en 1967 pour prévenir de la fureur à venir de 1968, il n’est pas question de raconter des histoires, mais bien plutôt de violenter son temps en arrachant aux bouches de ceux qui le voient les hurlements de stupeur et d’incompréhension qui leur permettront de « prendre leur vengeance sur la cécité et la stupidité du monde », ainsi que le dit si justement Thomas Ostermeier. Et malgré le talent indéniable de l’artiste, qui joue de son art tel un artisan de grand luxe, nous en sommes ici bien loin, alors que s’éloigne la fureur folle du monde et des hommes à l’instant même ou la lumière se rallume, et où les applaudissements retentissent.