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En cette soirée du 6 octobre, à l’entrée du pont Saint-Louis, la Nuit Blanche se teinte de noir pour interroger la valeur de nos désirs. Autour de deux performeurs, un groupe de personnes en cercle, qui debout, qui assis. Derrière eux, un échafaudage de cageots en plastique noir, sur lequel sont accrochées de mystérieuses pancartes aux inscriptions lumineuses. On peut y lire, dans le désordre des « offres » et des « désirs » : « Un an de ma vie », « Une visite de Paris en vélo », « Un toit pour tous » ou encore « Ma plus belle paire de seins ». L’un des performeurs harangue la foule à travers son micro-casque : « Nouvelle offre ! Je vous aide à trouver votre voie professionnelle ! Nouvelle offre ! Quelqu’un d’intéressé ? ». Une main se lève.

Bienvenue dans la bourse du Marché Noir, qui repose sur un principe un peu complexe au premier abord, par lequel on se laisse pourtant gagner dès que l’on saisit le fonctionnement de cette bourse aux désirs où l’argent n’a pas d’existence. Ici, toute personne peut proposer une action à offrir et un désir à réaliser. Une fois validée par l’équipe du Marché Noir, l’offre est acceptée en bourse et exposée à la définition puis à la négociation collective. L’assemblée – nous-mêmes, spectateurs – réfléchit alors à ce que peut être, par exemple, « aider quelqu’un à trouver sa voie professionnelle ». Le titre est ensuite négocié en perspective du désir énoncé, en contrepartie de cette offre : ici, « l’épanouissement de ma fille ». Celle qui avait levé la main pour bénéficier de l’offre s’engage, en retour, à aider dans l’épanouissement de la fille en question. Le performeur exige alors de tous des propositions concrètes, qui ne tardent pas à fuser : « Lui offrir un livre très important chaque mois », « Qu’elle ait les mêmes chances qu’un garçon », « Lui donner les coordonnées d’une association féministe »…

Le deal est scellé, le rendez-vous pris pour le jour suivant : les performeurs se chargent alors de mettre en relation les deux personnes qui ont « fait affaire » et se retrouveront seuls à seuls, libres de réaliser ou non les propositions énoncées. Marché Noir, du LUIT (Laboratoire Urbain d’Interventions Temporaires), jeune groupe d’artistes et comédiens réunis par la recherche et l’expérimentation artistique dans l’espace public, propose ainsi une expérience inédite permettant de réfléchir à la valeur accordée aux choses en dehors de tout système marchand, dans laquelle se distingue la trace d’expériences politiques telles que Nuit Debout, dont l’art s’empare ici avec intelligence. L’occasion de constater la plupart des gens sont prêts à donner bien plus que ce que l’on imagine.