Ce livre est un portrait au masculin décliné en neuf chapitres comme autant de tentacules d’un être unique que l’on essaie d’ausculter. C’est un ambitieux projet dans lequel David Szalay, auteur quarantenaire britannique, s’est lancé en dessinant les contours de l’intimité de l’homme en minuscule avec l’Europe contemporaine comme toile de fond. Le constat n’est pas tendre, pas de complaisance au programme mais une navigation tristement paisible vers les rivages plus vraiment exotiques des motivations de chacun. Le voyage chronologique du tout jeune adulte à celui bientôt mort croque un morceau de quotidien, pas même une histoire, pas même une pensée. Non, un moment presque banal où l’on assiste à des petits combats intérieurs, à des deals avec sa conscience, à ces arrangements dont nos vies se remplissent. L’écriture est fluide, elle coule sans noyer sous les mots les personnages, apportant par touches la lucidité nécessaire à l’exercice. Car à travers cet inventaire, l’auteur cherche moins à frôler un bout d’universel qu’à établir un constat, une photographie de notre époque, un arrêt sur image. Voilà où nous en sommes donc, avec nos obsessions et nos lâches contentements, nos rêves trop étroits, nos relations binaires avec les femmes, nos liens pauvres et intéressés avec notre entourage. La voilà la mélancolie du xxie siècle, moins romantique que les précédentes, moins noire aussi, une mélancolie low cost ou en promotion au supermarché du coin. L’Europe qui semble si accessible avec ses frontières poreuses et sa richesse culturelle à paillettes devient le décor en carton-pâte de ce trajet initiatique d’un monde qui ne fait pas rêver. Ces neuf hommes, croisés pour quelques pages, ont surtout des manques en commun, plus de creux que de profondeurs. « Quand je n’ai qu’un là où j’ai envie d’être », se répète Simon, le plus jeune des antihéros. Mais aucun ne semble être ou rejoindre son « là », bringuebalé par les courants, pas forcément pour le pire mais jamais pour le meilleur. Une vie en demi-teinte. Nous sommes dans la cour des moyens, le tiède y est roi, et l’auteur nous accompagne avec limpidité sur des chemins ternes de vies qui ressemblent à la nôtre.