© Pierre Planchenault

Après « Les Démons », Sylvain Creuzevault s’attaque au pénultième fleuve de Dostoïevski dont le personnel dramatique convenait opportunément à la quatrième promotion de l’Éstba (École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine) pour son projet de fin d’études. 

Pour cet « Adolescent », le metteur en scène reconduit l’esprit hybride et foutraque de sa précédente création qui rend à nouveau une belle justice à la poétique dostoïevskienne, non seulement à sa polyphonie légendaire qui corrode audacieusement la politique trop sage du contrepoint brechtien, mais aussi à sa philosophie crépusculaire effilochée en l’occurrence par la représentation inquiète de la jeunesse russe, qui rabiboche autant d’idéaux contradictoires que d’illusions perdues. Accompagné.e.s au plateau par Sava Lolov et le génial Frédéric Leidgens, les jeunes comédien.ne.s s’offrent un bel écrin scénographique constitué de grands prismes blancs, de néons colorés et de baies vitrées modulables, qui permettent comme souvent chez Creuzevault d’égratigner l’image scénique en superposant aux échanges des tableaux vivants (l’artiste s’engouffrant par là même dans tous les recoins métapoétiques de l’œuvre.) Malheureusement, la majorité de l’équipe ne se montre pas à la hauteur de l’exercice. Le jeu brutal imposé par le metteur en scène, qui mobilise à la fois le naturel et la distance, l’entre-soi et la parole exposée, suppose pour ne pas embourber la complexité tortueuse de l’intrigue une vraie rigueur dans les intentions et la transmission du verbe. Hormis certaines scènes jouées à deux, où les comédien.ne.s retrouvent certainement un savoir faire plus classique, la majorité des échanges sont inaudibles et leurs enjeux dramatiques complètement émoussés. Assourdissant la métaphysique sceptique de cette quête adolescente, le spectacle ne fait alors entendre que les rumeurs opaques de cerveaux en cuve. 

On regrette par ailleurs, pour cette fête qu’aurait dû constituer une sortie d’école offerte gracieusement à tous les publics, le faible remplissage de la salle du TnBa. La faute peut-être à une politique théâtrale bordelaise dont on peine depuis plusieurs années à comprendre les réels enjeux et à une institution culturelle qu’on apprécierait plus commode. On se permettra alors d’accuser ici, lorsqu’on bute sur l’emphase finale de la directrice Catherine Marnas qui vante « les grandes transformations du monde » qu’engagent le métier d’acteur, ce que Dostoïevski lui-même appelait « la suffisance des bavards. »