Fanny Reuillard

 

“C’est pas grave, ce n’est qu’une question de géographie” : voilà que ce susurre Alvie Bitemo, avec une ironie cinglante, à qui maîtriserait mal la carte de l’Afrique et du tracé de ses pays. La voix suave et enjouée de la comédienne-chanteuse enveloppe comme un gant de velours la férocité de ses analyses sur les rapports occidentaux-africains, le politiquement correct, le statut de femme, de noire etc. Sa présence mordante, immédiatement sympathique, son talent de griot déjanté, sont au service d’un texte remarquablement écrit – condition sine qua non pour être sur la scène des “Langagières”, festival qui met la langue à l’honneur et explore le verbe – donnant à l’exercice du stand up, dont Alvie Bitemo s’empare avec une jubilation contagieuse, une densité inhabituelle : à la légèreté du rire s’ajoute la force d’une réflexion (pourquoi ne pas employer le mot “nègre” et le banaliser pour le vider de son immonde histoire ?) et le plaisir d’être embarqué dans les pérégrinations existentielles de la narratrice : son récit du voyage Melun-aéroport Maya-Maya de Brazzaville donne envie de s’installer dans ses valises et dans ses yeux. Joie d’une voix qui fait traverser tant d’états. Des Langagières, on aura aussi entendu l’alliage délicat de poèmes arides de Bertolt Brecht et d’accordéon, par Emmanuel Houzé et Frédéric Davério, duo scénique où la nervosité du texte et de l’acteur rencontrait la douceur de l’instrument – où inversement, l’objet mécanique semblait, sous l’effet du poème et de la voix, se gonfler d’un souffle organique.