Epopée ordinaire au Brésil

Mort et vie Séverines

(c) Thiago Pedroso

« Nous sommes plusieurs Severino », est-il répété à l’orée du spectacle “Mort et vie Séverines”, présenté dernièrement au Théâtre de la Reine blanche à Paris. Cette phrase introductive, où un personnage devient la métonymie de la classe paysanne brésilienne des années 50, fait écho au slogan contemporain « nous sommes les 99 % », qui fait référence aux inégalités économiques rongeant nos sociétés. Car Séverino, dont les traductrices de la pièce, Mariana Camargo et Magdalena Bournot – cette dernière étant aussi la metteure en scène et une des comédiennes – ont habilement transposé la condition en le désignant par le terme « migrant », incarne les laissés-pour-compte, la majorité silencieuse, qui vend sa force de travail et souffre de la faim et de la terre aride. La pièce de João Cabral de Melo Neto relate en effet l’épopée ordinaire d’un homme qui quitte le dust bowl de sa terre natale pour faire route vers la côte, guidée par la supposée prospérité qui l’attendrait là-bas. Le fleuve tari, la terre aride prennent une envergure symbolique dans un Brésil en proie aux flammes où les climatosceptiques essaiment.
Quelles sont les raisons de la colère ? La misère, la poussière, mais le ton n’est pas à la révolte dans ce “Morte e Vida Severina”. Le poème, et on se réjouit d’entendre cette version à la fois en brésilien et en français, semble empreint d’une certaine résignation sur la vie paysanne, qui s’accommode de ses malheurs, considérés presque comme inéluctables, mais il y a tout de même un peu d’espoir. Mort et vie, oui, et sur sa route Severino rencontre d’abord l’une, avec un cortège de pleureuse et sous la forme de l’enterrement d’un autre laboureur ; puis l’autre, avec une naissance qui ouvre l’horizon.

Sorte de Candide lucide qui veut cultiver son jardin, le migrant guide le spectateur dans traversée du Brésil, traversée métaphoriquement représentée par les somptueuses transitions vidéo de Thiago Pedroso, projetées sur des draps tendus. Au cours de ce voyage, la pièce prendra une tournure shakespearienne, avec une scène où deux jesters, deux fossoyeurs, méditent en mangeant un poulet sur les différents quartiers et les disparités sociales qui leur sont concomitantes, jusque dans les cérémonies mortuaires, et évoquera le douloureux passage des trente ans. Elle se terminera sur un envoi musical après des dons d’instrument au public, correspondant dans la fable aux offrandes faites au nouveau-né, accompagnées de la phrase « Ma pauvreté est telle, que je n’ai pas de meilleur cadeau… », « Minha pobreza tal é, que não tenho presente caro… ». Ces cadeaux sont alors à l’image de ce spectacle, qui s’offre avec sobriété et générosité.