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Avec la programmation de la « Source des Saints » de Synge, parabole grinçante moins populaire que « Le Baladin du monde occidental », le T2G maintient un contact exigent avec la littérature symboliste affectionnée par son directeur Daniel Jeanneteau.

L’adaptation de Michel Cerda, metteur en scène trop discret dans le champ de la création théâtrale, tend vers un minimalisme suggestif très réussi. Sur un carré métallique égratigné par quelques braises fondues, simplement encombré au deuxième acte par le rideau rouge d’une forge inquiétante, les personnages évoluent dans une obscurité presque constante. La dramaturgie tripartite de Synge enraye l’évolution binaire du mystère médiéval, car le miracle de la guérison, apportée aux aveugles par le Saint, ne fait que produire une discorde érotique et métaphysique qui conduit les deux protagonistes à préférer la situation initiale. La pièce de Synge contient alors une richesse dialectique assez troublante, tant le milieu profane y est croqué avec grotesque et la sphère religieuse, amatrice en cette fin de siècle de sciences occultes, y est dépeinte quant à elle dans toute sa complexité. La vérité sensible du monde des aveugles, si elle semble s’opposer à l’univers trop rationaliste des voyants, donne lieu à un engouement mystique tout relatif, tant l’errance éternelle de ces humains privilégiés du dehors est imprégnée d’une mélancolie déjà beckettienne. 

Anne Alvaro et Yann Boudaud (tout juste sorti du Trakl de Claude Régy), donnent à ce spectacle une grande force organique et métaphysique, dans un jeu anti-psychologique qui étreint toute la plasticité de cette langue empâtée et incandescente élaborée par Synge. On relèvera toutefois, seule ombre pardonnable au tableau de ce spectacle puissant et intemporel, que les deux jeunes actrices ne sont pas à la hauteur de l’exercice. Le nocturne défi que propose « La Source des Saints » est en somme une invitation très contemporaine au décentrement, à l’appréhension intime et érotique du monde, dans une forme anti-spectaculaire qui façonne une résistance esthétique à nos dehors aveuglants.