La puissance du sourire

Phèdre !

(c) Loan Nguyen

Si l’on en croit François Gremaud parlant de la 2B Company, celle-ci travaille sur deux aspects essentiels : l’idiotie au sens de singularité et la joie au sens nietzschéen de célébration de la vie. Et en effet, il habille ses projets d’un étonnement joyeux, souvent accueilli dans une jouissive délectation, déclenchant un processus de pensée décalé, créant un écart, un pas de côté qui ouvre à la curiosité, socle de la réflexion. D’abord joué pour les lycées, comme un « cheval de Troie » faisant entrer en classe le théâtre contemporain, le spectacle fonctionne parfaitement pour tous, car une fois que l’on s’adresse à l’intelligence elle n’a certainement plus d’âge.

Cette conférence, cette prétendue exposition de la tragédie, fait finalement se rejouer toute la pièce. Seul en scène au centre d’un espace dépouillé, avec une table et le livre de « Phèdre ! », qui fera office d’accessoire désignant chacun des personnages, Romain Daroles raconte tout, y compris les histoires derrière l’histoire. Il décortique la mythologie, exprime tout le génie du verbe de Racine, la perfection des alexandrins, la justesse de la forme qui habille si magnifiquement le sens, et surtout nous fait partager sa passion de la langue.

Plus que tout, il nous désarme par son sourire, solaire, ininterrompu, fleuve. Un sourire si affirmé, assumé, constant n’est pas denrée courante ni valeur courue. Se moque-t-on de nous ? Que fait là ce personnage à la Pagnol avec se sourire tout en dents, qui lui barre le visage, cet accent provençal, cette fausse naïveté, ce corps dégingandé qu’il déplace de-ci de-là, sautillant, précieux, l’œil alerte ? Mais ce sourire parlé, cette parole réchauffée par ce sourire, éclaire et expose avec une grande et lumineuse efficacité la fine et complexe dramaturgie à l’œuvre. Son particularisme, sa fausse simplicité, ses gestes précis, son campement minutieux des personnages rendent possible un voyage clair et lisible dans l’enchevêtrement sophistiqué de cette odyssée littéraire. Daroles et Gremaud nous font aussi ressentir profondément leur amour du texte. Entraînés dans le chevauchement épique de la langue avec une telle apparente simplicité, ponctué de tant de rires, on expérimente quelque chose qui ressemble à une libération, à un soulagement de joie, à un soupir d’aise : la possibilité d’un pur plaisir.