“La Source des Saints”, mise en scène de Michel Cerda, DR

Un an après l’ouvrage de Monique Borie consacré à Maeterlinck, les éditions Ides et Calendes proposent à Françoise Morvan (universitaire bien connue du paysage théâtral pour ses traductions de Shakespeare, Tchekhov et O’Neill) de sortir un autre moderniste du purgatoire.  Il s’agit cette fois de John Millington Synge, affublé d’entrée de jeu par Morvan d’une appellation on ne peut plus éculée, celle du légendaire poète « maudit », qui trouve cependant toute sa raison d’être dans la réputation intemporelle de cet auteur, traité par ses contemporains et descendants (aussi bien publics que traducteurs) avec une irritation allant du simple rejet esthétique au mépris élitiste. De fait, Françoise Morvan est on ne peut mieux placée pour poser, dès le premier chapitre, des problématiques cruciales sur la politique de la traduction inhérente au destin de l’écrivain irlandais. Elle montre alors à quel point le traitement de cette « langue duelle » élaborée par Synge, métaphysique et prosaïque, poétique et populaire, anglaise et gaélique, aurait induit sourdement, dans la supposée libération dramaturgique du XXe siècle, des postures tout bonnement archaïques (sa traduction heurtant selon plusieurs universitaires le « bon goût français. ») 

Par-delà ces perspectives traductologiques plutôt passionnantes, l’étude se base sur une connaissance tout à fait érudite de l’homme et de l’œuvre, retranscrite avec un grand esprit de synthèse dans une petite centaine de pages, approche croisée qui esquisse parfois une image un peu romantique et théologique de l’écrivain, écran mythique qui contrarie la belle visée dépoussiérante de ce travail. De fait, cette posture légendaire de reclus littéraire, agrémentée des fameux vagabondages de tout bon vieux saltimbanque, ne laisse pas assez la place au projet purement dramaturgique de Synge et à son ambition métaphysique. L’œuvre du dramaturge irlandais, comme celle de Maeterlinck, déclenche actuellement un vrai regain d’intérêt, la récente mise en scène de « La Source des Saints » par Michel Cerda ayant commandé de surcroît une autre traduction que celle du “Théâtre complet” de Françoise Morvan (paru aux Solitaires Intempestifs), attestant éloquemment cette revitalisation insoupçonnée du rétameur irlandais, « pêcheur d’âmes rebelles » comme le qualifie joliment l’auteure.