Pour le meilleur et pour le piratage

Pavillon noir

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Le collectif OS’O livre une brillante démonstration autour du Dark Web et des dérives du tout-numérique, en évinçant les nouvelles technologies du plateau. Une magnifique leçon de théâtre, où inventivité et drôlerie font résonner dans toute son ambivalence la fulgurante déflagration de notre troisième révolution industrielle.

Ce n’est pas sans un scepticisme sourd que l’on entre au 104 pour assister à la dernière création du collectif OS’O, annonçant une réflexion sur l’hacktivisme comme expression alternative de nos libertés modernes, confisquées par les dérives répressives du Web. Une thématique chère aux metteurs en scène contemporains, dont l’épuisement scénographique finit par se manifester derrière une surenchère d’écrans et autres effets redondants au service d’un message convenu. La scène, espace du vivant et de l’éphémère, demeure pourtant le lieu des possibles, dernier bastion d’une résistance à la reproductibilité technique et à l’exploitation technocratique de l’humain. Et « Pavillon noir » en est la superbe démonstration.

En s’appuyant sur un travail d’écriture commun avec le collectif TRAVERSE (sept auteurs travaillant en binôme avec sept comédiens), « Pavillon noir » construit une réflexion polyphonique directement inspirée des travaux de Marcus Rediker autour de l’histoire de la piraterie. De ce laboratoire surgit une épopée libertaire dont la composition est à couper le souffle, mêlant les références anachroniques au cyberpiratage (Aaron Swartz, Chelsea Manning, Edward Snowden) et aux flibustiers des xviie et xviiie siècles.  Ce laboratoire, d’une grande efficacité au plateau, souligne les conséquences contradictoires de la révolution numérique en une succession de tableaux néobaroques.

Les comédiens, véritables pirates des planches, construisent une geste performative qui se départit des modes traditionnels de production scénique et de toute vision hiérarchique du processus de création. Les sept acteurs-citoyens parviennent ainsi à retranscrire, par le seul souffle du jeu, nos environnements saturés d’images, d’émojis, de gifs animés ou d’imprécations à liker. Le spectacle progresse par intermèdes jouissifs, dans lesquels les comédiens miment les vidéos abrutissantes des youtubeurs, s’amusent de la logorrhée grotesque des chaînes d’actualité en continu, ou des éléments de langage des cours de justice américaines. Le résultat, purement artisanal, est impressionnant de précision et de talent métamorphique.

Ce dispositif embarque le spectateur dans une folle traversée, dont le souffle finit par le submerger quand la parole se tait pour laisser place au CODE, incorporé et transmis d’un comédien à l’autre en une série de gestes hiéroglyphiques, comme ultime moyen de déjouer les systèmes de censure et de préserver nos libertés fondamentales. Un langage universel et salvateur, qui se développerait par-delà les frontières. Un peu comme le théâtre en somme. On s’attendait à quelque peu de manichéisme ou à la construction d’utopies bien-pensantes, mais le travail est si juste et précis, l’engagement des artistes si sincère et l’écriture si dense, que « Pavillon noir » est tout simplement un beau spectacle. Beau et exemplaire.