Puissance de la douceur

Mexican Contemporary Textile Art

© Mónica Iturribarría, Morelia

À la Manufacture de Roubaix, musée de la Mémoire et de la Création textile, s’ouvre en ce début mai une exposition consacrée à l’art textile mexicain dans ses déclinaisons contemporaines. À travers le travail des artistes exposées, Daniela Edburg et Monica Iturribarria, deux approches très différentes du rapport au tissu et à la broderie ainsi qu’à l’art contemporain sont offertes au public, dans une confrontation extrêmement féconde et riche de sens.

L’une, Daniela Edburg, photographe de formation, intègre broderies, pelotes de laine et textiles divers au sein de ses compositions photographiques, qui font dès lors dialoguer éléments naturels et éléments artificiels, traces de l’homme (de la femme) au cœur de la nature. L’autre, Monica Iturribarria, s’oriente vers un art ostensiblement politique : suite au décès de son frère, tué par des narcotrafiquants, elle amorce un travail de broderie sur mouchoirs, sur lesquels elle reproduit des unes de journaux annonçant morts et accidents liés au trafic de drogue qui sévit au Mexique de manière endémique. Dans le travail de ces deux artistes se retrouve la volonté d’agir symboliquement sur le réel par le biais du tissage et de la couture, art mineur historiquement réservé aux femmes, dont celles-ci se réemparent avec sensibilité et intelligence. Comme si le geste de coudre, qui exige patience et minutie, venait contrecarrer le passage du temps, à la manière des photographies de Daniela Edburg, ou la violence d’un monde d’hommes, celui des « narcos » contre lesquels lutte Monica Iturribarria. Les œuvres exposées se font dès lors célébration du dérisoire, du fragile, de ce qui n’accroche pas et peut repousser n’importe où, comme les mousses d’arbre pour lesquelles se passionne Daniela Edburg et qui envahissent les visages de ceux qu’elle place devant son objectif.

Que peut un mouchoir brodé de rouge contre la violence d’un système politique et d’un état de corruption généralisée ? Que peut l’exposition de tous ces mouchoirs en tissu, puisque du travail de Monica Iturribarria est née une initiative menée en partie par Paty Vilo (fondatrice du collectif Fiber Art Fever!), « Broder pour la paix », qui récolte des mouchoirs brodés dans le monde pour les envoyer au Mexique et dont un fragment de la collection est exposé aux côtés des siens ? Une partie de la réponse serait à trouver dans cette formule de la philosophe Anne Dufourmantelle : la « puissance de la douceur », cette qualité prétendument galvaudée qui possède un pouvoir de transformation des êtres et des choses et dont la force est insoupçonnée. Voici donc une exposition célébrant précisément cette puissance par des artistes qui, en Pénélopes contemporaines, répondent par la douceur aux désarrois intimes et politiques, opposant aux douleurs une réappropriation poétique du monde et une force de résistance.

Mexican Contemporary Textile Art à la Manufacture de Roubaix, du 4 mai au 30 juin 2019.