Tout geste est renversement

Louées soient-elles

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Commande de l’opéra de Rouen créée dans la chapelle Corneille, « Louées soient-elles » se déplaçait ce week-end dans un autre espace sacré : l’arène circassienne de La Brèche, à Cherbourg (Pôle national cirque en Normandie), dans le cadre du festival Spring. Pour ce rituel féministe, David Bobée s’associe à Corinne Meyniel et livre comme à son habitude un spectacle pluridisciplinaire en mêlant cette fois opéra, danse et acrobaties.

Véritable cimetière des paillettes opératiques, la « tourette » qui sert d’unique décor à la performance est encombrée au départ de vêtements héroïques décharnés, costumes que les artistes vont tour à tour épouser et rejeter, effilochant sans cesse leurs coutures sclérosantes. Alors qu’ils voulaient opposer frontalement les archétypes lyriques de Haendel aux émancipations gestuelles des autres performeuses, Bobée et Meyniel composent finalement une hydre féminine qui puise sa force défigurante dans l’hybridation permanente de ses langages artistiques. Volontairement non surtitrés, les airs de sainte-nitouche ou de sorcière hystérique perdent leur pesanteur symbolique au profit de l’irradiation extralinguistique du chant, la voix s’élevant au côté du corps contre une certaine emprise sociale et culturelle dulogos.En décomposant leurs fétiches habituels, les chanteuses Aude Extremo et Yun Jung Choi montrent effectivement que ce spectaclen’est pas qu’une nouvelle mise en scène épique des Guérillères, mais une reconfiguration plus profonde du corps lyrique, lui-même engoncé traditionnellement dans des mélopées lancinantes, souffreteuses et aliénantes. Ce « catalogue complet de féminités fantasmées » approché par le seul répertoire haendelien fait-il cependant advenir cette réversion biculturelle des signes et des mythes convoitée par ses créateur.trice.s ? On a le sentiment d’assister plus à une succession de vignettes édifiantes, qui reconduisent le régime allégorique qu’elles auraient pu transcender, qu’au traçage émancipateur d’un nouveau cycle féminin, à l’image de l’utopique « O » de Monique Wittig, arène insulaire conçue comme « un cercle parfait, que tu inventes pour les emprisonner et pour les vaincre ». Les corps pour leur part, munis de lances ou contorsionnés dans une mare de sang, constituent davantage des instruments expressifs mis au service de tableaux vivants que de réels fauteurs de troubles.