© Dorothée Thébert Filliger

Il y a trois ans tout était parti de leur histoire, Duval / Berrettini, et d’un vrai faux (?) désir de quitter la scène. Lui se révèle par son absence dont on nous parle d’abord beaucoup, remplacé par la « redoutable machine à jouer » (dixit Sophie Perez) qu’est Stéphane Roger. On savoure pleinement ce comédien. Mais du coup la double nécessité à reprendre ce clap final n’est plus. Demeure la question : pourquoi recommencer ?

Marion Duval nous parle de la honte, du désir, de l’égoïsme des comédiens qui sont ici « pour se faire plaisir ». Mais de quelle honte s’agit-il, si ce n’est surtout celle qu’elle tente de faire naître en nous par ses prises de pied volontaires dans le tapis ? Parfois en effet, on aimerait se fondre dans notre fauteuil et échapper à son regard (qui nous juge ? qui nous observe comme le scientifique sa souris ? qui nous aime malgré tout ?) car elle parvient à nous enserrer de ses filets manipulateurs d’émotions souterraines inavouables : c’est vrai, on aime entendre de méchants ragots nommément ciblés, on aime se faire balader entre comique, lapins blancs, monstres en papier, comédie musicale qui s’emballe et voir ses seins aussi bien sur ! Oui, c’est utile de parler de l’échec, de l’ennui, des rouages de la profession, de se montrer odieux mais vulnérable, de nous prouver que le désir est le moteur de tout, au théâtre. Sans oublier le traitement de la temporalité aussi étiré par moment que le chewing-gum qu’un gosse sortirait de sa bouche à l’infini, avec lequel elle tente de nous briser les côtes sur la roche de l’ennui. Très intelligente, elle nous tient par les cheveux, nous laissant naviguer sur un fil qu’elle tend ou détend à l’envie. Ses bluffs et ses stratégies nous perdent souvent, et on reste inconfortablement coincé entre les deux eaux d’une théorie un peu démonstrative. A la fois appréciatif d’une provocation maniée avec un double tranchant diablement maîtrisé mais dans l’attente d’un élément unificateur, d’une connivence plus rouée entre les deux comédiens. On y est presque, on ressent par touche l’ivresse mais sans le vertige, la gêne mais sans être submergé de honte, l’ennui mais sans vouloir partir. Le chemin est tracé mais l’ornière pas assez profonde. Pour conjurer la honte et jouer le jeu de la main tendue au public il faudrait en rajouter encore un peu, plus extrêmement, plus insupportablement. Le paroxysme se fait guetter. On vacille mais ne tombons pas. Reste, splendidement, le sourire de carnassière séductrice de Marion Duval qu’on emporte avec nous et son feu d’artifice final où l’on touche enfin à ses confins intérieurs.