Deux panneaux, un néon et de la fumée. Trois éléments au centre de ce dispositif de Philippe Saire, quatrième volet d’une série de pièces dans lesquelles le chorégraphe appelle au dialogue des arts visuels avec la danse.
Deux panneaux disposés en oblique, prêts à se rejoindre, mais qui laissent entre eux un espace. Infime, comme un point de fuite. Une meurtrière derrière laquelle la vie n’est plus. Pensé ainsi, le plateau apparaît comme l’endroit exiguë, tordu et mal-aimable au milieu duquel le vivable tentera d’exister pour les deux performeurs qui l’habitent le temps d’une petite heure. Entre cet homme et cette femme, rien que la banalité d’une vie : une histoire d’amour ou de liens qui se tendent, puis se distendent. Une corde raide prête à céder à chaque instant, que leur volonté seule permet de faire tenir. C’est ainsi surtout dans la solitude des êtres qui se vivent à deux que le spectacle trouve son ampleur. Peu importe l’amour, semble nous dire Philippe Saire. Celui-ci n’est rien d’autre qu’un état qui permet à ceux qui le vivent de respirer l’éther des Dieux l’espace d’un instant, mais qui jamais ne nous empêchera d’être renvoyé à ce qu’Ether était aussi dans la mythologie : fils des Ténèbres et de la Nuit. Père de l’Oubli et de la Douleur. Une vision infernale, qui fait du spectacle un moment difficile, exigeant et tendu, que le chorégraphe refuse catégoriquement de présenter comme le refuge douillet que nous voudrions parfois qu’il soit. Un instant parcouru de cauchemars et d’images qui resteront, longtemps. Parmi elles, une surtout, fracasse les esprits quand elle vient clore le spectacle. Nu sur le sol noir de la scène, un homme entre par la meurtrière, revenu à l’arrachée du royaume des morts que le Kyrie que nous venons d’entendre n’a pu lui éviter. Pauvre entre les pauvres dans un monde sans Dieu, cet homme se débat, s’écroule puis se relève dans une lumière tombante, implorant à son bourreau la dernière minute que nous demanderons tous. Une minute supplémentaire que la fin de la représentation lui refuse, comme pour nous dire une chose : le théâtre non plus, ne peut rien.