Fugue bichromatique en cirque majeur

Falaise

Falaise © François Passerini

Falaise © François Passerini

Comme un contrepoint qui vient répondre à un thème, « Falaise » compose le second volet d’un diptyque commencé avec « Là ». Entre citation et renversement, il présente une autre face du même geste artistique, partant du noir au lieu de partir du blanc, du plein au lieu du vide, du groupe au lieu du couple. Une fable poétique, plus surréaliste que circassienne, traversée par les mêmes tremblements. Un geste plastique autant que théâtral, qui donne à voir l’effritement d’une réalité et la soif de vie des êtres qui l’habitent.

« Falaise » est un spectacle vertige : la falaise, c’est l’à-pic, la possibilité de la chute, et c’est à l’inverse le pied du mur, celui où on se trouve coincé. Cette polysémie irrigue toute l’écriture, à partir d’une scénographie monumentale de murs noirs et bruts. Ce paysage urbain, sans vie, se disloque à mesure que les personnages le traversent. « Encore ici ! » tonne l’un d’entre eux après avoir crevé un mur, mais la prison labyrinthique se métamorphose graduellement : ses profondeurs sont habitées, des oiseaux la traversent, la vie laisse une trace sur ses murs sous forme de traînée de couleur blanche. En tout cas, cette scénographie est le seul accessoire d’un spectacle qui ne semble garder du cirque que l’attention au corps et à l’espace. Les acrobaties se marient à la danse et à la musique, dans une recherche organique de la pulsation, du tempo qui met le groupe au diapason. Théâtre visuel en noir et blanc, le spectacle cède cependant à la tentation de la parole, à plus ou moins bon escient : l’humour innocent du clown, surtout, est bienvenu, et s’abstient d’indiquer un sens. Comme pour interpeller une humanité qui s’épuise à courir en rond, un cheval blanc vient traverser la scène et poser un regard tranquille sur la ville qui se défait. Dans le ciel, des pigeons blancs crèvent les nuages. Les animaux n’embrassent finalement que les humains qui accèdent à une forme de sérénité. Comme le chant opératique répond aux guitares rock, la présence animale, spontanée et dépourvue d’attentes, s’oppose à la froideur minérale des murs. On pourrait reprocher à « Falaise » de multiplier les signes à l’infini, mais c’est ce qui fait sa force : au-delà de sa beauté formelle, il offre un support à toutes les rêveries et à toutes les interprétations. En laissant libre chaque spectateur d’y trouver une résonance différente.