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Manuela Fésil a toujours envisagé le documentaire comme un moyen de repartager le sensible. En 2003, « Pour de vrai » était une intrusion ludique dans l’imaginaire et l’intimité des enfants. Après plusieurs œuvres consacrées à l’exploitation animalière et aux silences humains qui en découlent, elle revient à cet objet d’observation dans « Le bon grain et l’ivraie. » Le titre parabolique contredit la démarche filmique. La caméra de Manuela Fésil circonscrit rarement l’image à dessein discursif ou allégorique. Les bavardages et les cauchemars de ces mistons sans domicile (demandeurs d’asile à Annecy) débordent toujours le cadre qui pourrait les circonscrire. Cela commence comme une fresque polyphonique et malicieuse en sépia, rappelant « L’Argent de poche » de Truffaut (l’un des protagonistes déclare d’ailleurs son amour aux « 400 coups »). La vie documentaire est rythmée par les échappées lacustres, les colères enfouies, les ballets de variété française, les classes sans maître d’école. Des cartons didactisent parfois leurs aventures, exposant les lois en vigueur et suggérant leurs failles. La voix off historicise pour sa part les pérégrinations incertaines et le passé tragique de ses héros. Cela ne dépolitise pourtant pas le geste. Car l’énergie vitale et souvent contestataire que dégagent ces jeunes corps donnent à l’art documentaire toute sa raison d’être. Ne pas trier les âmes, comme le prescrit le titre biblique et ironique, mais révéler leurs contradictions et leurs énergies insoupçonnées. Retrouver “quelque chose de l’enfance” comme dirait Duras, non pas dans la mièvrerie mais dans une sincérité troublante et espiègle.