(c) Blanca Li – Backlight

Cela fait quatre ou cinq ans maintenant que la réalité virtuelle fait de timides incursions dans la danse contemporaine, créant des objets parfois hybrides, parfois totalement immersifs, à l’instar de ce “Bal” de Blanca Li, présenté à Chaillot cet automne.

Comme Gilles Jobin avec son “VR_I” en 2019, la chorégraphe tient à s’emparer de la technologie non pas comme un gadget mais comme la moelle substantifique de son travail créatif. Harnachés de l’équipement de VR, le groupe de dix spectateurs conviés au “Bal” sont plongés dès la scène introductive, dans laquelle ils doivent choisir leur avatar – en l’occurrence, leur costume Chanel -, dans un bain de pixels absolument bluffant. Et il faut bien reconnaître que l’envoûtement opère jusqu’à l’ultime seconde de la performance et au retour à la réalité. Blanca Li a conçu un scénario onirique d’une féerie absolue, même s’il tristement infecté par une mièvrerie sentimentale et des chansons dignes de figurer dans la plus sirupeuse des comédies musicales.

Passé l’effet de sidération technophilique, que reste-t-il ? C’est là où l’oeuvre pose question. La chair évacuée, est-ce encore de la danse ? Certes, deux danseurs bien réels mènent le bal en direct, frôlant le public, jouant avec la confusion des sens amplifiée par d’astucieux procédés immersifs (souffle, parfum…). Certes, l’interactivité du concept propose au spectateur un retour à son propre corps, par une participation ludique à la performance. Mais la médiateté de la présence – le simulacre – transpose l’oeuvre dans une autre dimension de la conscience, dans laquelle l’imperfection et l’accident ne sont plus ceux des corps mais des machines : le pixel flou, l’audio qui saute, le câble qui s’emmêle.

Au final, devant les conséquences abyssales de ce questionnement ontologique sur la nature de l’art vivant et son rapport au réel, il n’y a ni à crier ni victoire ni défaite. La VR ne vient pas se substituer au reste : à sa splendeur numérique et grandiloquente, on pourra toujours préférer la beauté fragile d’un corps de chair. Pour qui accepte une suspension consentie de l’incrédulité, “Le Bal” est un jeu exaltant et un joyeux hommage à la danse. Rien de plus.