Feu périnéen

Lady Magma

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Avec « Lady Magma », la chorégraphe irlandaise Oona Doherty fait un écart à son esthétique UK working class et va puiser des sources de renouvellement dans les seventies : ses chorégraphes, sa musique et son féminisme première génération.

Alors que nous patientons assis sur la pelouse de La Chartreuse, une des performeuses se mêle finalement à nous vêtue d’un jogging, d’un kimono et d’un bandeau fleuri. Elle nous invite à hurler comme des loups et à expulser par le souffle tout ce qui se met en travers de notre chemin vers nous-même. Un shot de liqueur est proposé, à boire cul sec : il pourrait s’avérer un facilitateur nécessaire. Mais cette maîtresse de cérémonie, entre gourou, néochamanisme, cercle de femmes et développement personnel, laisse un goût d’à-peu-près et ne sert pas particulièrement la performance qui s’ensuit. Le chemin parcouru dans le bâtiment classé du XIVe siècle, le mistral et la nuit tombante suffisaient amplement à la sacralisation du moment et à la mise en condition du public.

Cinq tapis persans posés sur l’herbe. Sur ces derniers, cinq danseuses étendues, leurs cheveux longs et leurs nuisettes en satin froissées par le mistral. La nuit tombe sur les corps qui se mettent en mouvement. La petite meute est prise d’une impulsion lente et organique, s’animant d’un feu périnéen. Elle va chercher dans Trisha Brown ce qui fut peut-être parmi les premières incarnations au plateau du mot « sororité » en danse contemporaine. Elle lui emprunte le droit de mal faire, l’écoute véritable, le sentiment que chacun est là pour les autres. Les danseuses courent dans tous les sens nus pieds sur l’herbe, disparaissant parfois derrière le public. Oona accueille l’une des danseuses sortant de scène, lui fait un signe de tête approbateur et respire avec elle pour l’inviter à ralentir son rythme cardiaque : dans ce détail réside la beauté de ce travail, l’espace et la confiance qu’ont les interprètes pour être qui elles sont et formant un véritable tout.

Ce réflexe un peu mystico-yogiste, que l’on trouve en ouverture et qui gagne en itérations et en visibilité en France, est déjà l’esthétique dominante de la scène chorégraphique britannique de ces dernières années. On peut en voir l’origine à la fin des années 1990 avec le New Labour, années à partir desquelles les gouvernements successifs au Royaume-Uni ont jugé qu’une subvention d’État pour l’art n’est justifiable que sous condition d’un impact social positif et quantifiable. Ainsi, l’État se défausse sur les artistes et les institutions culturelles de sa responsabilité sur la cohésion politique et l’ascenseur social, ainsi que sur le bien-être de la population. Pour espérer toucher un maigre soutien financier auprès de l’Arts Council England, il y a des cases à cocher et des mots-clés à placer. « Care », « soin », « trauma », « résilience » : on ne sait parfois plus si on lit une note d’intention ou la liste des services d’un établissement hospitalier. « Lady Magma », bien que marqueur et marqué par son contexte, le dépasse par la beauté de sa réalisation et la sincérité de sa démarche.