Le frisson du concept

Ami·e·s, il faut faire une pause

(c) Pierre Planchenault

Dans « Ami·e·s, il faut faire une pause », Jean Le Peltier troque les habits du guide de kayak pour ceux du guide de situation : les accessoires de l’un sur la scène (un kayak donc, mais aussi une corde, une guitare, et bien sûr une carte) se mêlent à ceux de l’autre dans la salle (une tablette tous les deux spectateurs, sur laquelle de la pâte à modeler, des bols, quelques papiers). Programme hybride donc – celui d’une situation de spectacle pour aventuriers plus ou moins novices – où la métaphore exploratoire est l’occasion de penser autrement quelques concepts, philosophiques au premier abord, psychologiques en réalité. D’une douceur impeccable, le comédien emmène le spectateur entre cascades et torrents, avant que l’accrobranche ne prenne le relais du canot : dans la « forêt de la culture », chacun tente de tracer son bout de chemin entre les lianes sans juger les goûts de son voisin. Ici, le parcours en triptyque (kayak, accrobranche, et le surf qui clôt l’aventure) est une métaphore écosémiotique : le spectateur se met à penser aquatique, forestier, maritime ; bref, la réflexion mute au gré de la nature. La balade en terres exotiques de la pensée est plaisante – on s’y laisse guider volontiers – et la confiance pour le guide, habité par la passion du soin, est immédiate : celui-ci aménage d’ailleurs des pauses ultra développement personnel entre deux concepts un peu arides (on prend sa natte pour aller s’allonger sur scène, on va boire une petite infusion détox). Voilà, on ne va pas trop vite, on est bien : inspirez profondément, la pensée s’écoule en vous. Inoffensif (peut-être un peu trop), « Ami·e·s, il faut faire une pause » est un baume où la parabole géographique se déploie avec une finesse jamais didactique, au service de l’écriture toute en intelligence de Julien Fournet. Les fluides et les lianes innervent les concepts, les châteaux de sable sont des événements, et le raisonnement, pour une fois, n’est plus solipsiste mais environnemental : on se surprendrait à penser avec ce qu’il y a autour de nous… Tiens, la pensée s’est échappée de l’esprit, elle s’est dissoute dans l’atmosphère : de concept, elle est devenue sensation.