Projets / Contre-projets

Romance

© Ernest S Mandap

Le temps d’un monologue enfiévré, Imène raconte sa meilleure amie Jasmine. Le « Grand Projet » de cette jeune fille de 16 ans qui cherche à s’extraire de sa cité et tombe amoureuse d’un sombre type rencontré sur le Web ? Certainement pas un road trip à Disneyland…

Si l’on s’en tient à la brochure, il y a de quoi redouter un sensationnalisme maladroit, plein de bonnes intentions, où l’on recycle à l’infini cette idée de dépeindre « la déshérence d’une partie de la jeunesse qui ne se regarde plus qu’en pointillé » … Car oui, apparemment, « Jasmine est une jeune fille intelligente mais [sic] elle s’est trompée de rêve ». Dommage pour Jasmine, elle aurait dû opter pour le road trip – pour une jeune fille, c’est quand même plus sage qu’un projet d’attentat –, si seulement elle avait fait le bon choix… Si bien qu’il se dégage du spectacle une forme de bienveillance suffisante dont l’interprétation, quoique sensible, de Marion Solange-Malenfant reste tributaire. Le « Grand Projet » de Jasmine rencontre celui, un peu trop volontariste, du metteur en scène Laurent Maindon, qui semble avoir trouvé le cocktail explosif pour « analyser les convulsions du corps sociétal » dans un texte qui aborde toutes ensemble les questions de la jeunesse, de la violence, du carcan de la cité, du terrorisme.

Il faut toutefois rendre justice à un travail plus subtil qu’il n’y paraît, ne serait-ce que grâce au travail de Marion Solange-Malenfant qui s’empare avec une énergie revigorante de la prose de Catherine Benhamou. Reste aussi le trouble saisissant provoqué par la figure de Jasmine. Le personnage d’Imène porte le récit de son amie, il est l’intermédiaire bienvenu par lequel transitent ses pensées. Son histoire n’est approchable que par les mots d’une autre, sans jamais que le puzzle ne puisse se reconstituer tout à fait. Tout l’intérêt de la pièce réside dans cette absence brûlante. Les mots de l’autrice ne disent pas tout, le corps de l’interprète ne cherche pas à éclairer les interstices d’obscurité qui subsistent. De même, la sobriété revendiquée de la scénographie abonde dans ce sens. La poésie surgit parfois sans crier gare, jusque dans la noirceur de la cave dans laquelle Jasmine retrouve celui qui est rapidement passé de son amoureux 2.0 à son prédateur. La pièce s’achève dans une brutale incertitude et inscrit le spectacle dans une fragilité à double tranchant, mais précieuse.