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La hors-murisation du Théâtre de la Ville donne l’opportunité, nolens volens, de se saisir de lieux inhabituels pour des créations in situ. C’est le cas de la chapelle de la Pitié-Salpétrière qui, après Israel Galván, accueille la mystique et décousue performance déambulatoire du collectif Peeping Tom.

Tout commence avec une bougie électrique donnée à chaque spectateur, qui joue le rôle d’un artefact immersif, à l’instar du masque blanc de « Sleep No More » (avec lequel « La Visita » partage d’ailleurs plus d’une caractéristique, pour le meilleur et pour le pire). C’est en s’inspirant du personnage de « Moeder » et de son architecture scénographique que Gabriela Carrizo et ses comparses déploient toute l’inventivité de l’univers baroque dont ils sont coutumiers, dont les préliminaires tiennent de l’esthétique gothico-hospitalière et franchement inquiétante du « Shutter Island » de Scorsese. Chaque partie de la chapelle, comme reliée par des fils invisibles à l’octogone central, est convertie en tableaux en mouvement qui représentent aussi bien une morgue qu’un oratoire ou une galerie d’art.

C’est que les Peeping Tom sont d’abord de grands faiseurs d’images, quitte à leur sacrifier ici une partie de la puissance chorégraphique qui illustre habituellement leur imaginatif théâtre dansé. Car des multiples – et simultanées – séquences de cette narration surréaliste qui convoque de saisissantes figures archétypales issues de l’inconscient collectif émerge une discontinuité pas toujours convaincante. Si le dispositif déambulatoire permet de réaffirmer l’onomastique voyeuriste du « Peeping Tom », il pèche par une certaine dévitalisation des signes, renforcée par l’écueil classique de ce genre de performances (« Sleep No More » en tête) qui rassemble beaucoup trop de monde à la fois : déambulant en cherchant à éviter ses congénères, dans un sentiment de FOMO permanent, croisant les regards concentrés et inquiets de la dizaine d’organisateurs répartis dans tout le lieu, le spectateur a vite faite de sortir du dispositif de suspension of disbelief.

Certes, le jeu sur la circularité – éternelle répétition de formes avec de mini-estrades tournant sur elles-mêmes ou un skater glissant en longues boucles sur les dalles de pierre – est un procédé efficient qui permet d’enfoncer le clou du désarroi psychique et de renforcer la confusion des pans de réalité. Mais la dialectique mentale entre lieux profanes et sacrés, lieux de vie et des lieux de mort, est appauvrie par une dramaturgie un peu faiblarde. Restent, toutefois, quelques belles trouvailles visuelles et sonores, comme la scène finale ad mortem dans une pénombre contrariée par un envoûtant cercle de bougies.