« De l’origine, de l’a-parlance, de l’abîme, du corporel, de l’animal, de l’insublimable persistent en nous. », écrit Pascal Quignard. Avec « Hurlula », cette persistance advient comme existence. Le corps intranquille de Flora Détraz, fuyant constamment sa propre forme, cet infans qui a pour seule profération le cri, semble errer parmi toutes ces variations de l’en-deça du langage que désigne Quignard.
Au gré de l’arpentage d’une large gamme sonore, du hululement au rire fou, s’affirme la pure jouissance d’altérer le figé, de perturber le cadre, de tâter les signifiants – avec un comique rappelant celui de Nach –, en même temps que s’invente une langue, à l’instar du néologisme en guise de titre.
Flora Détraz aurait ainsi trouvé l’endroit juste entre préservation de l’indomptabilité intrinsèque du cri et saisie des possibilités créatrices de cette matière brute. Comme si elle sculptait, non la sauvagerie même de cette « voix retournée aux origines » (Michel Leiris), mais à partir d’elle. On sent le surgissement perpétuel, surpris de lui-même, la spontanéité insouciante d’un commencement qui se fiche de sa fin, celle qui motive l’exploration poussée d’un recoin, mais vite oublié une fois quitté. Les esquisses permanentes de cet être quasi asexué, tel celui du « Cri » de Munch, inspiration revendiquée par la chorégraphe-danseuse, défient le linéaire, frustrent les attentes, prenant parfois le risque de nous égarer quelque peu, au profit d’une absolue liberté. Pour autant, dans ces entrailles de la terre, lieu de mort autant que de naissance dans l’imaginaire bachelardien, fugacité ne rime pas ici avec vacuité. Au contraire, quelque chose se travaille. Visages-masques, bouches béantes expressionnistes, et autres désarticulations burlesques s’épanouissent et signifient par-delà le seul tableau plastique, nées pourtant de réactions épidermiques – aux cris, aux larsens électro, aux étrangetés sonores d’un musicien-alchimiste qui fait crisser les cymbales et chuchoter les batteries, aux « langues de feu » (Munch) qui strient le sol, comme un débordement de la violence intérieure.
C’est paradoxalement dans la cohérence de cet enfer synesthésique, tout en fissures et déformations incandescentes, que s’é-crit une singulière esthétique de la dissonance, qui ébranle tout système.