Depuis le début des années 2000, Sir Wayne McGregor, chorégraphe britannique engage des explorations interdisciplinaires, où il intègre la science, la technologie et la danse pour repousser les frontières de l’art chorégraphique. Multirécompensé avec plus de 160 œuvres à son actif en 30 ans de carrière, ses spectacles comme « +/- Human » sonnent comme des itérations génératives du titre nietzschéen « Humains, trop humains ».
Son exploration se poursuit dans « We Humans are Movement », une performance présentée dans la grande salle moderniste du Palazzo del Cinema sur le Lido à Venise, un lieu emblématique également connu pour accueillir le Venice International Film Festival, à l’occasion de la 18e Biennale de la danse de Venise.
Sur un plateau nu, un DJ est installé à cour, bordant le tapis de danse. Le fond de scène est couvert d’une projection de haute qualité qui alterne entre des vidéos en noir et blanc des visages et corps des jeunes danseurs, et des images génératives abstraites qui relèvent de l’art numérique. La projection s’étend alors sur les deux murs latéraux, plongeant le public dans un univers numérique immersif. Les mouvements néo-classiques sont accompagnés d’ une musique clubbing, marque de l’attachement de McGregor à la culture rave de la Grande-Bretagne des années 90, mêlé à des tonalités musicales plus récentes comme l’amapiano.
Neuf danseurs de la compagnie de McGregor émergent de la salle pour monter sur scène, bientôt rejoints par les jeunes talents du Biennale College, un programme prestigieux accueillant 16 danseurs du monde entier pour une résidence de trois mois, culminant dans des productions de cette envergure. Les danseurs portent des justaucorps à col haut, révélant des jambes athlétiques, indispensables pour exécuter les mouvements exigeants de McGregor. Leur technique, flirtant avec une forme de perfection, transcende le naturel pour atteindre un rendu presque « uncanny ».
On pourrait se demander si l’intention est de montrer que, malgré la précision technique et la quasi-perfection presque machinique des danseurs, le mariage entre corps humain et projection numérique n’aboutit jamais pleinement. Les projections digitales semblent parfois accentuer la platitude du plateau et ternir le réel plutôt que le servir. C’est un joli collage, mais la fusion n’opère pas. Cependant, certains moments de grâce, comme une scène où un danseur vêtu de blanc disparaît presque dans la lumière stroboscopique, réussissent à brouiller les frontières entre le réel et l’irréel et créer une beauté nouvelle dans un espace tiers.
Il y a une recherche fascinante sur l’obstruction du regard et la restructuration de l’espace par la lumière. Ce concept pourrait facilement constituer un spectacle à part entière dans le style de McGregor. Il semble presque que plusieurs spectacles soient imbriqués en un seul ici. Cette complexité pourrait-elle refléter le désir d’intégrer les aspirations des jeunes danseurs ?
En fin de compte, les moments les plus touchants du spectacle sont ceux de proximité avec les jeunes danseurs, que ce soit lorsqu’ils dansent parmi le public ou lorsque leurs visages sont projetés en gros plan. Leurs mouvements et expressions laissent entrevoir une humanité en devenir, peut-être plus encore que l’esthétique numérique, entre Ryoji Ikeda et Matrix qui donne une impression de futur du passé. Finalement, dans ce dialogue entre l’humain et la technologie, l’humain émerge comme la véritable innovation radicale.