Dans la peau de Stephan Eicher

Stephan Eicher - Seul en scène

Il serait vain de démêler ce qui, dans cette légère incongruité poétique qu’a toujours portée Stephan Eicher sur scène, tient du tempérament, du jeu ou de la suissitude. Sans doute des trois à la fois. Sa première performance théâtrale n’est pas exception à la règle.

Il y a quelque chose d’une idiosyncrasie à la fois indépassable et bienveillante, qui s’étend bien plus loin que le périmètre d’un répertoire musical limité, pour les néophytes, aux échos tubesques de son « Déjeuner en paix » de 1991. Ce ne sont ni les musiques, ni les paroles de ses chansons – parfois de petits bijoux d’orfèvrerie minimaliste signés Martin Suter ou Philippe Djian – qui débordent du cadre somme toute classique qui les contient, mais bien leur interprète. A chaque instant, Eicher nous prend à revers, sans malice : dans le choix des mots – les approximations de son français alémanisé –, les silences, les ruptures. François Gremaud, assurant la mise en scène et habitué des ficelles métathéâtrales, a parfaitement saisi ce que le discours et l’univers eicheriens pouvait receler d’effets de style.

La forme hybride qui en résulte, mi-concert, mi-performance cocasse, se refuse à se plier complètement à son objet théorique : le récit d’une vie d’artiste. Au déroulé didactique et chronologique, Eicher préfère le surgissement de bribes de souvenirs de son « protagoniste » : séquence survoltée de ses débuts électro-underground à Bern, dans les années 1980, évocation pudique du décès de ses parents pendant les années Covid… Mais son humilité folle (c’est à peine s’il ne s’excuse pas d’être là), sa délicatesse et son humour intempestif – nolens volens – semblent mettre à distance tout velléité de s’épancher, de se répandre sur lui-même, là où d’autres auraient creusé plus franchement l’intimité biographique. Au point que la dimension théâtrale du projet, comparée à ses antécédents concertisants, pourrait sembler réduite à quelques atours scénographiques, aussitôt soulignés et taclés par le protagoniste lui-même.

Fragile, humble, élégante et indiscutablement drôle, la performance d’Eicher rappelle qu’il n’y a que deux sujets dans sa musique, « les histoires d’amour » (« c’est beau mais c’est compliqué »), et « le temps qui passe ». Mais son répertoire, comme son seul en scène, est l’antithèse d’une programmatique : il survient, c’est tout.