
DR
« Excusez-nous Emma, on s’est un peu laissés aller ! » dit Marlène Saldana à Ludivine Sagnier, qui joue Emma Bovary, dans la dernière création théâtrale de Christophe Honoré. D’un côté, certains regretteront le choix spectaculaire (le cirque, le divertissement, l’improvisation) du metteur en scène, de l’autre, on reconnaîtra à la troupe un formidable talent pour nous maintenir éveillés, ce qui n’est pas déjà pas si mal.
Reprenons depuis le début. Sur scène, le meilleur casting du théâtre français contemporain : l’impeccable Jean-Charles Clichet joue un Charles Bovary faible, sincère, béta, avec un léger décalage ironique, Stéphane Roger (Monsieur Lheureux) fait une improvisation irrésistible autour de la barbe à papa et de tartes à la crème, en tirant le spectacle du côté du Zerep, aidé par Marlène Saldana, qui nous montre ses fesses (comme Stéphane Roger un peu plus tôt) dans une scène, où elle chevauche un cheval d’arçon. Ce trio d’acteurs qui s’en prend au texte de Flaubert est un bonheur indiscutable. On serait mauvais joueur de ne pas dire du bien de Ludivine Sagnier, qui tient le lien dramatique avec la tragédie du roman.
Pourtant, on reste dramaturgiquement sur notre faim. Si on avait été comblés par « Le Ciel de Nantes » dans lequel Christophe Honoré décalait sa biographie dans un cinéma, la piste de cirque pour qu’Emma se raconte est un choix qui ne trouve pas sa nécessité. Emma est constamment raillée par la troupe des circassiens (un lanceur de couteau, un acrobate et nos trois acolytes), si bien qu’on s’éloigne lentement de Flaubert pour perdre le fil dans une succession de numéros hauts en couleur. On entend, au début de la pièce, notamment, l’ironie mordante du plus grand styliste de langue française, mais le théâtre ici ne prend pas.
On connaît tous l’histoire d’Emma Bovary, coincée dans un mariage sans joie dans une ville de province ennuyeuse, ses aspirations romantiques et la réalité décevante des hommes rencontrés. Même si la suite des numéros est enlevée, ou plus exactement parce que les clowneries s’enfoncent toujours plus (et parfois avec brio) dans le grotesque, lorsqu’il faut revenir au chevet d’Emma, il est trop tard pour que l’émotion affleure. Avec les tartes, les culs et la barbe à papa, on a perdu Bovary en route. D’ailleurs, Christophe Honoré ne dit pas autre chose dans un entretien : « Ce n’est pas tant Emma Bovary elle-même qui m’émeut que la figure de Flaubert. » Et c’est ce qu’on a devant les yeux, des acteurs brillants qui massacrent joyeusement la bêtise des figures de Flaubert.
