Jusqu’ici, le versant gaguesque de Miet Warlop était relativement artisanal, parfois même cheap ; c’était avant « Inhale Delirium Exhale », dont le plateau nu présage tout son contraire : 5 000 mètres de soie et une machinerie colossale. Bien sûr, on retrouve les marottes ludiques de la performeuse et artiste visuelle : ça canonne à tout va (de l’eau et de l’air) et le culte de la performance, acclamé dans « One Song » et plus confidentiel dans « Ghost Writer and the Broken Hand Break », fait l’objet du même dilemme, entre fétichisation et ironie. Mais elle a beau utiliser la soie comme matériau principal, « Inhale Delirium Exhale » se présente aussi comme une pièce de machines, dont le ballet de perches métalliques peine à créer un terrain de jeu vraiment ludique pour les six performeurs. Peut-être parce que leur statut d’ouvriers du textile performe un peu trop sa jubilation pour qu’on y croie tout à fait ? Même à renfort de rock et d’électro, de cris et de courses, les tableaux abstraits se succèdent dans un chaos au fond presque sage. Peut-être surtout parce que le choix du textile est trop propret pour l’esthétique de Warlop, toute en taches et en traces (on se souvient des maculations bordéliques de « Mystery Magnet » et « Fruits of Labor »)…
Un point pour les machines ceci dit, elles ont le mérite d’ouvrir un nouveau répertoire d’images chez la Flamande, certes plus mainstream, presque blockbuster pour certaines, mais pas moins poétiques : entre autres, un corps dont la main autocensure les cris s’évanouit comme par magie sous le drapeau blanc de la reddition ; les torses des performers fusionnent avec la panoplie pop de couleurs ; les courbes des corps respirent derrière une soie noire agitée par les ventilateurs… Si elles cohabitent bizarrement avec les tableaux plus narratifs et familiers de l’artiste (type la session de workout menacée par un canon à eau), elles augurent peut-être d’un dialogue fructueux entre deux théâtralités que rien ne réunit pourtant sur le papier. Mais pour le moment, l’appareillage (le métrage des tissus, le nombre de perches), qui renvoie plus à l’usine et à l’aliénation qui va avec qu’à Loïe Fuller, ripe encore un peu cette dramaturgie du chaos mi-épurée mi-monumentale. Preuve en est, la première scène, magnifique, est de loin plus simple techniquement – deux danseurs avec des moulages de leurs mains en plâtre brisent leurs doigts et paumes en jouant comme des enfants : le paradoxe est consommé.

