
© François Le Guen
A l’instar d’Énée qui vint à la rencontre de la terrifiante prophétesse de Cumes en son antre monstrueux, c’est plein de curiosité que nous nous sommes rendu à l’Athénée – Théâtre Louis Jouvet afin de voir le dernier travail de la Compagnie la Tempête qui, sous la bouillonnante baguette de Simon-Pierre Bestion, place au cœur de son travail scénique la musique vocale et instrumentale.
Nul besoin d’être la Pythie ou prêtre d’Apollon pour comprendre le propos général de la pièce : Simon-Pierre Bestion et sa brillante équipe sont partis sur les traces de ce personnage fascinant de la Sibylle. Cette figure antique a traversé les siècles et les civilisations, changeant de visage et de nom au gré des pays et des hommes qui ne cessèrent de la réinventer. C’est par la musique que la compagnie La Tempête a choisi de dessiner les contours de cette figure fascinante et terrifiante à la fois. Au milieu de pièces empruntées à des répertoires aussi divers que les répertoires antique, castillan, byzantin, géorgien ou baroque, l’arrangement musical de Simon-Pierre Bestion dessine un chemin original au milieu de ces œuvres musicales diverses et nous nous laissons guider bien volontiers dans cette promenade sonore aux airs de catabase. Si l’on peut se perdre parfois dans la confusion des histoires, pour certaines sibyllines, et la profusion des personnages, la musique et ses fabuleux interprètes nous permettent de retrouver notre chemin. Une mention spéciale d’abord à la pièce « Le feu se repose en changeant (Rituel de tirage du Yi Jing) » créée par Zad Moultaka et qui se fond parfaitement dans ce patchwork musical tout en venant donner corps au rituel de la divination. La voix du baryton René Ramos-Premier, puissante et douce à la fois, a su nous ravir tandis que nous nous laissions emporter par l’interprétation cristalline de l’admirable Helena Bregar. Notons aussi la virtuosité de Matteo Pastorino à la clarinette basse et de Xavier Marquis à la clarinette et au duduk, qui demeure, quoi qu’on en dise, un des plus beaux instruments que l’homo musicus ait pu inventer.
Si la musique et les chants, virtuoses par bien des aspects, parviennent à faire naître sur le plateau des moments de grâce où le temps est suspendu au souffle d’une voix ou aux vibrations des cordes du oud magnifié par le jeu agile et la voix nitescente de Jawa Manla, la dramaturgie, par sa rigueur didactique, étouffe par moment le mystère sacré que l’on commençait à voir poindre. Il faut bannir ces micros des plateaux de théâtre : les différents textes, antiques et contemporains, assénés avec plus ou moins de justesse par des interprètes se retrouvant figés à cour ou jardin alourdissent considérablement l’ensemble. On comprend bien ce que cela signifie : nous sommes invités à y voir des oracles de notre siècle. Mais ce qui se joue et se chante sur scène est assez lumineux pour ne point avoir besoin de davantage d’explication.
Force est de reconnaître que, malgré un léger manque de maturité, on referme à regret le livre sibyllin ouvert par cette troupe au talent indéniable qui nous rappelle qu’un tel travail est une véritable « consolation pour les mortels », seule capable de guérir les souffrances ici-bas.