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À l’occasion du festival Shubbak, vitrine londonienne des cultures et créations arabes contemporaines, le Southbank Centre présentait « MILK » de la compagnie palestinienne Khashabi Theatre, déjà remarquée au Festival d’Avignon en 2022, année de sa création. Deux ans plus tard, la réception de ce spectacle est transformée par l’intensification dramatique du conflit en Palestine et l’accélération du processus génocidaire auquel le monde assiste aujourd’hui.

Fondé en 2011 sous le nom de Khashabe Ensemble, le collectif s’est établi en 2015 dans un espace situé à Wadi Salib, quartier de Haïfa vidé de la majorité de ses habitants palestiniens lors de la Nakba en 1948. Khashabi revendique un théâtre libre, indépendant, affranchi des normes officielles, et dédié à la remise en question des tabous sociaux, politiques et artistiques.

« MILK » s’inscrit dans cette démarche : Cinq femmes entrent, portant dans leurs bras des mannequins de taille adulte comme on tiendrait des enfants. Elles les bercent. Le geste s’intensifie jusqu’à une frénésie nerveuse jusqu’à les laisser choir, les mains encore tendues portant un corps absent. Elles découvrent leurs seins ; du lait en jaillit, inutile – il n’y a pas de bouche pour le boire. Elles posent, comme figées dans une photo de famille postapocalyptique, avant de disparaître derrière les corps inertes des mannequins. Une d’entre elles s’accroche à son mannequin, l’embrasse, jusqu’à ce que la tête se détache. Elle embrasse alors dans le vide, avant de se couvrir la bouche pour contenir le geste automatique. C’est un théâtre d’image, une forme performative sans texte.

Ce qui semblait un tapis de danse s’avère être composé de grandes dalles grises d’un matériau léger que les interprètes ne cesseront de déplacer, tantôt gravas, mur ou rochers. Ce lait qui s’écoule en vain de leurs seins forme un lac qui recouvre le plateau. À l’horizon brumeux, une femme enceinte avance. Elle descend, plante des fleurs dans les ventres creux des mannequins, et les autres femmes les arrosent de leur lait. Elle accouche d’un homme adulte. Il s’agite, tente de construire, d’embrasser les femmes, accueilli ou repoussé, sans trouver sa place parce qu’il ne peut que prendre celle d’un disparu.

« MILK » est une allégorie saisissante de la perte, de la maternité empêchée, du cycle avorté de la transmission. Une tentative de faire mémoire là où l’histoire est systématiquement effacée. Dans ce théâtre de ruines, Khashabi offre un geste de résistance, au cœur d’un présent insoutenable.