« L’art se réfugie dans une expérience qui n’est plus celle d’objets entourés d’une aura, mais d’une aura qui ne se rattache à rien ou quasiment rien. Cette aura, cette auréole, ce parfum, ce gaz, comme on voudra l’appeler dit à travers la mode l’identité de l’époque » (Yves Michaud, “L’Art à l’état gazeux”).
Les festivals sont l’expression d’un certain état d’esprit, d’une forme de décontraction, de fête, d’ouverture, de l’éphémère, d’éclectisme, mais aussi de confirmation et de risque, d’héritage et de subversion. C’est un modèle anthropologique de rapport à la culture qui diffère du schéma classique tout en étant de plus en plus prégnant au sein des politiques culturelles ; alors que dans les années 1950-70, le public se réunissait pour pouvoir accéder aux nouvelles formes artistiques apparues avec l’avènement de la contre-culture, aujourd’hui les spectateurs se réunissent avant tout pour être ensemble.
Selon Yves Michaud, l’événement éphémère, festif et immédiat est le nouveau ressort culturel de l’homme moderne. La création alimente une sorte de supermarché où cohabitent toutes sortes d’œuvres, sans hiérarchie, dans lequel le consommateur puise, pour se nourrir de sensations et d’expériences. Petite république ou substitut aux grandes cérémonies religieuses, les festivals sont des moments particuliers de communion collective. La culture sert alors de prétexte à la socialisation, l’image même du festival est souvent celle du pèlerinage où, en tenue de soirée (Bayreuth, Salzbourg, Aix-en-Provence…) ou à douze en camionnette (Ile de Wight, Sziget ou Paléo), on se promet l’expérience totale. L’idée de culture, en tant que « lieu du secret, de la séduction, de l’initiation, d’un échange symbolique restreint et hautement ritualisé » (Baudrillard) est-elle alors mise à mal par la festivalisation massive de nos saisons ?
A l’heure où les communes genevoises fêtent en fanfare les 10 ans du festival interdisciplinaire Antigel, nous pouvons témoigner dans ces pages de la vitalité de la programmation spectacle vivant pensée avec pertinence par Prisca Harsch. Subtil mélange de risque et de fidélité, tous les artistes invités ont en commun un rapport majeur aux corps et un point de vue singulier à exprimer sur les problématiques du monde actuel. Dans l’air du temps, oui, Antigel l’est assurément, mais grâce à des choix justes il parvient à surmonter sa nature événementielle pour devenir une plateforme vibrante de ce qui se fait de plus sensible sur les scènes européennes.