Sacres du printemps

Jorge Luis Borges aimait raconter l’histoire de ce fermier taoïste qui acquiert une outre contenant un breuvage d’immortalité. Après qu’il l’a malencontreusement renversée sur le sol de sa basse-cour, ce sont ses poules qui boivent le liquide ; elles sont mues par une telle force de vie qu’elles finissent par s’envoler, et certains affirment qu’elles volent encore aujourd’hui. Puissions-nous tous, abreuvés de la sève roborative de ce proche printemps, devenir ces poules gorgées de vitalité propre à nous transporter vers de nouveaux horizons artistiques ! Car avec les dossiers spéciaux de I/O sur les festivals WET° et Spring, c’est à un hymne aux élans impétueux de la jeune création que l’on convie tout particulièrement. Fidèles au mot de Gide, « Ce n’est pas l’homme que j’aime, c’est ce qui le dévore », nous nous laisserons à notre tour dévorer par la réjuvénation vernale, qu’elle soit théâtrale et tourangelle pour l’une ou circassienne et normande pour l’autre. De sorte que, sortis des frimas tout alourdis et languissants, tels de malheureux goélands en exil de sentiment, nous puissions rejoindre, euphoriques, les nuées des migrations prénuptiales des spectateurs prêts à s’accoupler à de nouvelles scènes… Et quoi de plus beau que ces noces alchimiques promises par les arts vivants ! L’envolée, à l’image de la marche, se manifestera comme cette pratique esthétique dont parle Francesco Careri (« Walkscapes », Babel/Actes Sud) : une déambulation dans une architecture céleste explorée par nos regards avides et nos oreilles insatiables. Alors il ne tiendra qu’à nous de décrire, avec joie ou désespérance, ces espaces et ceux qui les peuplent. Car, comme dit le Tao, le ciel n’affectionne personne en particulier.