Entretiens en Chartreuse avec Josep Maria Miró et Philippe Sazerat

Mensonges

© Philippe Delacroix

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Hall de la Chartreuse, un banc. « I’m in your hands », me dit Josep Maria Miró, jeune dramaturge catalan.

« Je viens de Barcelone et c’est ma première fois à Avignon. Je suis dramaturge et metteur en scène. J’ai deux autres projets qui se jouent en ce moment même au Grec Festival à Barcelone, c’est une semaine intense. J’écris en catalan. Laurent Gallardo a traduit plusieurs de mes pièces en français, dont “Le Principe d’Archimède”, “Nerium Park”, qui est donné en lecture le 8 juillet au théâtre des Halles, et “Le Collaborateur”, forme brève que j’ai écrite à la demande de Frédéric Sonntag. Les pièces n’ont pas été écrites pour la Chartreuse, mais ça fonctionne à merveille. Ma pièce s’inscrit dans un vieux bâtiment chargé de résonances et d’histoire, un lieu de mémoire, ça retentit bien ici.

» Quand j’écris, j’essaie d’éviter les évidences, de garder un sens ouvert. C’est le spectateur qui clôt l’histoire avec sa propre expérience et son imagination. Ma pièce parle des configurations de la mémoire, du “pacte biographique” par lequel chacun recompose son histoire avec des vérités multiples, des mensonges et des secrets. En Catalogne, plusieurs présidents ont été atteints de maladies dégénératives, le président actuel est atteint d’Alzheimer. C’est fort, avoir eu la responsabilité de tout un peuple et perdre la mémoire. Les possibilités d’interprétation sont multiples, il revient au spectateur de spéculer et de construire sa propre mémoire de la pièce, justement.

» Mon programme ? Lundi je vais voir “Un Poyo Rojo” dans le OFF, mardi “Le Roi Lear” de Py, mercredi je vais assister à la lecture de ma pièce. Il y a plein de choses à voir à cette grande fête du théâtre. Toute l’équipe est logée ici, dans les cellules des prêtres, j’adore ! »

Café adjacent. Philippe Sazerat, directeur technique et concepteur lumière, parle avec passion de son métier « de l’ombre ».

« C’est très particulier, le travail de la lumière dans un spectacle en extérieur et un lieu historique éclairé naturellement. La seule lumière artificielle ajoutée, c’est dans l’église, car le merveilleux projecteur qu’est le soleil entre par nef béante, il a fallu contrecarrer l’effet de contre-jour en renforçant les visages des acteurs par des projecteurs. Le travail en plein air comporte des incidences particulières, la lumière est constamment en mouvement, cela donne des jeux d’ombre et de lumière intéressants. Véronique Bellegarde, avec laquelle je travaille depuis des années, a choisi les espaces, mais il a fallu composer avec différents paramètres comme l’orientation du soleil, qui éclaire les comédiens avec intensité ou par une simple lueur, de face ou de biais. Au niveau du son, il y a eu un équilibrage très précis à faire pour chaque lieu, en particulier dans l’église à cause de la résonance énorme. Dans le jardin du Procureur, il a fallu composer avec un tas d’incidences, le vent, le bruit du sac plastique sur le visage de la comédienne.

» En ce moment, j’ai deux spectacles qui se jouent à Paris, j’y retourne dans deux jours. C’est une des rares fois en trente-cinq ans que je ne vais pas vraiment faire le festival. J’ai tout fait, le IN, le OFF, dans toutes les conditions possibles.

» Nous, les directeurs techniques et les régisseurs, sommes des gens de l’ombre. Notre travail est rarement mentionné alors qu’il est fondamental dans le processus créatif et pour la réussite d’un spectacle. Et ce sont des métiers passionnants, complexes, indispensables, et pas toujours bien considérés. J’aimerais donc en profiter pour rendre hommage à tous mes camarades techniciens de France et de Navarre. »