Le paradoxe du technicien

Le Vivier des noms

Le Vivier des noms

D.R.

Richard Pierre, le régisseur général qui donnait la réplique

Quand j’arrive au cloître des Carmes quelques heures avant la deuxième du « Vivier des noms », je trouve l’équipe technique en train de visser des poutres, de repeindre des tiges et de déplacer des parois sur l’immense plateau ouvert, comme sur un chantier. J’ai vraiment la sensation de pénétrer dans les dessous du théâtre (d’ailleurs on appelle cela « la mise »).

« Je fais la régie générale et de la régie plateau. Le théâtre de Valère [Novarina] ne comporte pas de machinerie et peu de décor, c’est essentiellement un théâtre d’objets, on fait surtout de la manipulation d’accessoires. On est les “ouvriers du drame”, comme dit Valère, on a un rôle important, mais les acteurs sont très actifs aussi, ils amènent beaucoup d’instruments eux-mêmes. »

Il y a donc une sorte de brouillage des fonctions dans ce spectacle entre les acteurs qui manipulent et les accessoiristes qui jouent…

« La première fois que je suis entré en scène, c’était en 2000, Valère m’a demandé d’apparaître sur le plateau. Ça a été un grand moment de bascule, dans ma vie professionnelle et personnelle. J’abandonnais ma condition d’homme de l’ombre, c’était une transgression assez violente, parce que le bon technicien c’est celui qui sait se cacher, qui déplace des murs en restant invisible. J’ai fini par avoir des préoccupations d’acteur, je me souciais plus de ce que j’allais montrer de moi que de mon boulot. Je n’avais plus la même place, c’était déstabilisant. Ensuite, Valère m’a demandé de parler sur scène, d’abord des petites choses, jusqu’à ce spectacle où j’ai un gros bout de texte. »

Cette rupture, cela dit quelque chose de la force de la frontière qui sépare le technicien du comédien ! Et d’ailleurs, quand il s’adresse au public, fait-il le comédien ?

« Valère ne m’a pas dirigé comme un acteur, il m’a laissé faire comme je sentais. J’essaie de faire des apparitions fluides. Le rythme est fondamental dans son travail, c’est un canal de transmission, ça donne la justesse de jeu. Tout passe vite, ça ne s’arrête jamais. Lui et Céline [Schaeffer] m’ont juste indiqué par où arriver. Pour les répliques non plus, je ne compose pas. À force d’être au contact de vrais acteurs, j’observe, je leur pique des techniques, mais je ne “joue” pas, sinon Valère m’arrête, me dit de tout remettre à plat. Je dois juste prononcer mes phrases d’un seul souffle, de bout en bout.

C’est Valère qui a écrit mes répliques. “Nous souffrons de ne pas avoir la parole et pourtant nous ne la prenons pas.” Je ne m’identifie pas forcément à cette revendication, les choses ont bougé sur ce point, les clivages entre artistes et techniciens ne sont plus si forts. Ces derniers sont hyper qualifiés, ils manient des machines complexes, ce qui leur confère automatiquement une certaine reconnaissance.

Ma mère est comédienne et mon père était régisseur de la troupe de sa sœur. J’ai beaucoup fait le festival étant jeune, dans les années 1980 on a même ouvert des lieux dans le OFF avec Louis Castel et sa compagnie Le Théâtrographe, comme le Grenier à sel. Mais j’ai fait d’autres choses entre-temps, paysagiste, maçon, bûcheron. Ça fait dix-huit ans que je ne me consacre qu’à la technique. »

Agnès Sourdillon arrive au théâtre. « Aujourd’hui, c’est moi qui cause dans le poste », plaisante-t-il.

« Je loge au camping de Villeneuve, dans ma caravane, car je ne supporte plus le vacarme du festival. Je fais l’aller-retour à vélo, ça m’apaise. Pour l’instant on travaille beaucoup, mais je compte aller au théâtre où travaille ma compagne. Je veux voir Ostermeier aussi, dont j’ai beaucoup aimé le spectacle l’an passé, “Les Idiots”, et des choses à Villeneuve. Mon plus beau souvenir de théâtre, c’est Boris Charmatz dans la Cour d’honneur quand j’étais enfant, ça m’a remué en profondeur. »