Crédit: Inès Coville

Le performeur Camerounais Snake – (c) Inès Coville

Exclamations générales dans le public brutalement plongé dans le noir. L’électricité vient de se couper au beau milieu de la représentation. « Mesdames et Messieurs, une fois n’est pas coutume au théâtre, allumez vos téléphones portables et éclairez la scène s’il vous plaît ». A la demande du comédien, une dizaine de lueurs blanchâtres illuminent faiblement le plateau. Le spectacle peut continuer. Un écho frappant au thème de cette neuvième édition du Festival des Récréâtrales: “Sortir de l’Ombre”.

«Le théâtre doit appartenir à la communauté»

Fondées en 2002 à Ouagadougou, les Récréatrâles sont avant tout un laboratoire, une succession de résidences de création, jalonnées de février à octobre, et qui culmine par une semaine de festival en novembre. « Une nécessité de prendre du temps, de développer de nouvelles esthétiques, de partager les pratiques, martèle Etienne Minoungou, fondateur de la manifestation. S’offrir le luxe du temps donc, malgré les aléas de la vie politique, la fragilité de la condition d’artiste et l’âpre course aux financements. Prendre le temps de se rencontrer, de créer mais aussi de s’emparer d’un espace.

Car là est toute la spécificité de cet événement biennal, la fête se déroule dans une large rue du quartier populaire de Gounghin, au coeur de la capitale burkinabè. Les spectacles se jouent en plein air, dans les cours intérieures des habitants qui deviennent alors co-producteurs des Récréâtrales. Les enfants du voisinage, qui assistent assidûment aux répétitions, s’improvisent souffleurs. Quelques éditions plus tôt, les oeuvres de Dieudonné Niangouna ou Koffi Kwahulé ont été jouées dans ces cours charmantes où les poulets minuscules et les chiens élancés  s’invitent parfois sur la scène. 

De son côté, le public se bouscule avec délectation aux portes des maisons-théâtres, déambule dans les espaces dédiés aux concerts et sirote des “brakinas”, la bière nationale, en observant le soleil se coucher sur les rues orangées de Gounghin.« Le théâtre doit appartenir à la communauté, souligne Etienne Minoungou. Le défi était de le déplacer sans l’appauvrir ». En ce mois de novembre 2016, ce défi est plus que relevé. Venus du Burkina Faso, des quatre coins de l’Afrique de l’Ouest et du monde entier, les artistes ont répondu présent à l’appel d’Etienne Minoungou et du nouveau directeur artistique des Récréâtrales Aristide Tarnagda.

« C’est un lieu où on va provoquer la rencontre, confronter nos dissemblances, accepter nos différences», explique Aristide Tarnagda en insistant sur l’importance de l’unité artistique de la scène africaine. «Nous partageons beaucoup de traumatismes mais aussi beaucoup de choses heureuses,  c’est le lieu où l’on va fabriquer une identité commune décrit celui qui défend la construction collective d’un «panafricanisme culturel»  afin que «vienne le politique».

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(c) Inès Coville

Le théâtre, instrument de «dialogue social»

Cet engagement du théâtre et de l’artiste prend aux Récréâtrales un sens prégnant. Deux ans après le soulèvement populaire qui a renversé Blaise Campaoré au Burkina Faso – et auquel de nombreux artistes de théâtre ont pris part – les oeuvres programmées questionnent le politique, fustigent le néo-colonialisme, démantèlent les faux-semblants. On y découvre ainsi « To be or not to be », hommage du metteur en scène Mahamadou Tindano au dramaturge burkinabé Jean-Pierre Guingané et appel à « la vigie et au dialogue social », comme l’affirme l’auteur et comédien Paul Zoungrana. Mais aussi « Si nous voulons vivre », mis en scène par Patrick Janvier, qui mêle la présence vibrante d’Etienne Minoungou à la langue sans concession de Sony Labou Tansi.

On se souvient également longtemps des performances au vitriol du danseur camerounais Snake, autodidacte déchaîné qui n’hésite pas à mettre son corps – et les nerfs du public – à l’épreuve implacable de sa révolte. Les danseurs de Serge Aimé Coulibaly ont également fait forte impression en présentant la première partie de “Kalakuta Republik”, autour du mythique musicien nigérian Fela Kuti. Gigi Tapella signe pour sa part un «Pinocchio» très réussi du côté du jeune public, porté par une distribution impeccable. Enfin, le dramaturge guinéen Hakim Bah (prix Théâtre RFI 2016) aura été au centre des attentions avec son texte «Gentil Petit Chien» (mise en scène A. Tarnagda), fable décapante sur les victimes collatérales du terrorisme, des deux côtés de la Méditerranée.

 Si quelques uns de ces rendez-vous se seront avérés manqués (on se serait volontiers passé de l’assommant «Arc en ciel pour l’occident chrétien» par Pietro Varrasso), les Récréâtrales sont une vivifiante et nécessaire fête du théâtre, d’un théâtre aussi exigeant que soucieux du monde. Sortir de l’ombre, certes. Mais en pleine lumière.