Festival METEOR à Bergen

Festival multidisciplinaire et biennal en alternance avec Oktober Dans, METEOR est organisé par le BIT Teatergarasjen de Bergen. Pour sa 9e édition, un mélange bien dosé entre créations norvégiennes et tournées d’artistes internationaux.

Pour ceux qui ont la possibilité de faire le combo METEOR + CODA Dance à Oslo, I/O Gazette ne peut que vous recommander d’esquiver l’avion et de prendre le train. Six heures trente pour traverser de part en part la Norvège le long d’un trajet mémorable, entre lacs de montagne, plaines enneigées et cabanons isolés au milieu d’une forêt de pins. À l’arrivée : Bergen, deuxième ville du pays avec moins de 300 000 habitants, ancien comptoir hanséatique, pluvieuse mais bourrée de charmes. Le festival se déploie dans une demi-douzaine de lieux, autour de la United Sardine Factory, centre culturel majeur en Norvège avec un espace de plus de 12 000 mètres carrés, cinq salles de spectacles, une cinémathèque et un café-restaurant. Mais il programme aussi des propositions in situ, comme celle de Tormod Carlsen (« Radio B-Town »), située dans un container sur le port. Si l’on retrouve des « stars festivalières », comme Alessandro Sciarroni (« Aurora »), Sarah Vanhee (« Oblivion ») ou Dorothée Munyaneza (« Unwanted », qui nous aura beaucoup moins convaincu que notre collègue lors de sa création à Avignon), c’est aussi l’occasion de découvrir des artistes qui tournent moins en France, comme les Norvégiens de la compagnie Verk Produksjoner : ils présentent « Come as You Are », aussi irritant que créatif et déjanté. Irritant dans sa dimension post-théâtrale un peu autocomplaisante, mais d’une inventivité hors norme, revisitant la phrase de John Cage (sur fond d’« In a Landscape ») qui résume tout : « I have nothing to say and I am saying it, and that is poetry as I need it. »

Dans « Vive la Phrance », le duo Andrea Spreafico et Caroline Eckly nous convient en tablées de huit, dans la grande salle du Studio Bergen. Tout commence par un pliage de feuilles, curieuse phase d’atelier créatif niveau CM1 afin de générer un « outil de simulation scénique ». S’ensuit alors l’évocation successive de huit représentations marquantes, incarnant autant d’archétypes du rapport entre public et spectacle vivant : du « Lac des cygnes » de Matthew Bourne en 1995 à une performance indienne traditionnelle de kathakali… Tout l’enjeu est d’explorer cette liberté offerte à chacun de mettre plus ou moins de distance entre le spectacle et lui-même, depuis l’indifférence totale, voire le décrochage pur et dur (il reste même possible pendant toute la durée du show d’aller au bar chercher bières et cacahuètes), jusqu’à l’interaction ludique. Celle-ci peut se révéler légère dans le « Verein zur Aufhebung des Notwendigen » (création de Christophe Meierhans de 2015), expérience culinaire collective ; parfois un peu plus dérangeante, comme celle qui consiste à simuler un jeu de téléréalité excluant un à un, sur vote du public, les membres d’une table… À force de secouer dans tous les sens la question de l’espace et du public, il ne reste plus grand-chose dans « Vive la Phrance » auquel se raccrocher – à part peut-être le livret des partitions, fourni à chaque spectateur, des morceaux joués pendant le spectacle. Spreafico-Eckly posent la question fondamentale de l’art contemporain sans tenter une esquisse de réponse : devant une performance déjantée et brinquebalante qui semble un peu vaine, ne tient-il pas seulement au spectateur de remplir le vide ?

 

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Avec « Table Top Shakespeare », la compagnie anglaise Forced Entertainment, créée par Tim Etchells au milieu des années 1980, s’attaque au monument des monuments avec un spectacle qui est loin de se réduire à son tour de force. Le principe : résumer chacune des 36 pièces de Shakespeare sans autre dispositif qu’une table et des objets du quotidien, manipulés par le conteur, pour incarner les personnages. Ici, nous aurons assisté à un condensé des « Deux Gentilshommes de Vérone », narré par Nicki Hobday, avec des canettes de bière en guise de Valentin et Proteus, et le chien Crab en râpe à fromage… Il est nécessaire d’avoir assisté aux quarante-cinq minutes d’une représentation pour reconnaître, derrière le minimalisme absurde du procédé, toute la portée de ce projet intrigant. Sans comédiens, sans texte du corpus, sans scénographie autre que la manipulation de ces objets un peu ridicules, l’attention du spectateur se concentre entièrement sur le déroulement de l’action et les enjeux dramaturgiques. Les objets sont bien entendu des éléments burlesques en soi – un peu comme dans le désormais culte « Store Wars », qui, sur YouTube, reprend l’intrigue de « Star Wars » avec des légumes… Mais les objets deviennent aussi des points de fixation qui permettent de mieux saisir les interactions entre les personnages. Un peu comme ces techniques de mémorisation faisant appel à une visualisation spatialisée et symbolique des souvenirs. Pour qui ne connaît pas la pièce racontée devant lui, « Table Top Shakespeare » sera l’opportunité d’une session à vertu pédagogique ; pour tous les autres, ce pourra être un exercice poétique et ludique visant à surimposer à ces ossatures shakespeariennes la mémoire de comédiens ou de mises en scène déjà connus. Ou peut-être, plus simplement, à se laisser embarquer par les péripéties amoureuses de la salière et de la poivrière.

METEOR / BIT Teatergarasjen, Bergen (Norvège), du 19 au 28 octobre 2017
http://bit-teatergarasjen.no/